Diamant Brut d’Agathe Riedinger : « L’histoire d’une jeune femme qui se sent invisible »

La Critique

Extensions à clips, seins refaits, faux ongles, lèvres augmentées. Tout semble factice chez Liane ; pourtant cette jeune femme d’à peine 20 ans est 100 % authentique dans sa détermination à atteindre son but : devenir une star de la télé-réalité. « Je veux être la Kim K française » balance-t-elle à ses copines entre deux virées en boite. La célébrité comme voie rapide pour s’élever socialement et se barrer de ce coin paumé du Sud de la France, où elle vit avec mère et sœur. Croyante, Liane prie sur la route vers le casting pour que son rêve se réalise. D’une icône à l’autre, il n’y a qu’un pas, et le film assume ce parallèle entre la foi religieuse et la dévotion aux écrans ; Diamant Brut est l’histoire d’une Vierge moderne qui attend un miracle ; inexpérimentée et méfiante face aux hommes, elle porte aux pieds des stigmates à force d’être perchée sur des talons de 12 toute la journée. Ils sont environ 50 000 apôtres à la suivre sur son Insta, et entre louanges et quolibets, leurs commentaires apparaissent gravés sur l’écran, tels des textes sacrés. Porté par une mise en scène naturaliste attendue pour ce genre de sujet, avec sa caméra mobile et près des corps, les mélodies classiques (composées par Audrey Ismaël), qui s’imposent parfois au-dessus des beats modernes, participent, elle aussi, à ce déplacement du sacré. Fort et fragile à la fois, Diamant Brut est le premier long d’une cinéaste fascinée par les notions de beau et de beauté, et qui porte un regard bienveillant son héroïne et ses rêves clinquants. « Ça dérange qui ? » demande Liane à sa mère qui méprise ses choix de vie – et le film, traversé par la question du mépris de classe, la pose à ses spectateurs aussi. Cagole, et alors ? Le mercredi 15 mai 2024, Agathe Riedinger et son actrice Malou Khebizi ont monté les marches de Cannes, où le film est en compétition. Liane est enfin célèbre, et la réalité rejoint la fiction. (Frenchmania.fr)

.

Rencontre avec la réalisatrice Agathe Riedinger

NB : interview en table ronde

Comment est né Diamant Brut ?

J’ai toujours beaucoup regardé de téléréalité, et c’est comme ça que j’ai eu l’idée pour mon court-métrage J’attends Jupiter (2017). Mais j’étais sidérée par le fait que personne n’avait abordé le sujet de la téléréalité, qui était perçu comme du divertissement innocent, ou juste de la télé poubelle. Or pour moi, c’était l’expression d’une attitude très violente, basée sur le mépris de classe, qui exploite le corps des femmes pour créer du divertissement, et qui génère des valeurs très réactionnaires qu’on retrouve sur les réseaux sociaux. J’étais sidérée qu’on ne voie pas ça, qu’on n’en parle pas. Par ailleurs, j’étais aussi très interpellée par la démarche des candidat.es, et en regardant, j’ai compris aussi que pour ces gens qui viennent de classes modestes, la téléréalité était comme une alternative au chômage : une manière de s’inscrire dans le monde, dans la société, de gagner de l’argent. Dans la manière dont ces deux pôles se rencontraient, il y avait quelque j’avais envie d’interroger, d’explorer. J’attends Jupiter c’était un court-métrage, mais j’avais déjà le désir de faire un long, pour aller plus loin dans la réflexion.

Ce « clash » de classes, justement, comment le vivez-vous à un endroit comme le festival de Cannes ? 

Je suis très heureuse que le film soit à Cannes aujourd’hui. Cette idée de film, je l’ai eue il y a 7 ans, il y a eu le court-métrage, puis l’écriture du long, et à l’époque je voyais bien quil y avait une forme de mépris, de méfiance, par rapport à l’intérêt de s’attaquer à un sujet comme la téléréalité, pour le cinéma qui est un art si noble. Ça a été très long, de trouver le bon axe pour explorer ça. Mais en 7 ans, les mentalités ont beaucoup évolué. Il y a eu une prise de conscience. Les candidates de téléréalité ont pris une place très importante dans la représentation de la féminité aujourd’hui. Tout cela génère beaucoup de questions, et il y a une ouverture, un intérêt sincère sur ce sujet. Et que le film soit à Cannes, c’est merveilleux, c’est effectivement une façon de dire : parlons-en, posons-nous des questions. C’est super de voir que ce mépris n’est plus ressenti de la même façon aujourd’hui. 

un corps hypersexualisé n’est pas synonyme de désir sexuel

Vous abordez l’hypersexualisation des jeunes filles à travers le film. Dans l’intimité, on voit que Liane n’a pas de vie sexuelle. Mais sa représentation d’elle sur les réseau sociaux est hypersexualisée…

Effectivement, Liane est vierge. C’était important pour moi de montrer qu’un corps hyper sexualisé ne veut pas dire sexualité, désir sexuel. Ce sont deux choses très différentes. Liane travaille cette image sexualisée dans le but d’être regardée, d’attirer les regards, pour ressentir une valeur, se sentir importante. Elle s’est tellement enfermée derrière ce corps qu’elle a créé, cette enveloppe, elle s’est tellement enfermée derrière son image sur les réseaux, qu’elle est déconnectée de son corps, de ses émotions. C’est devenu une armure, une vraie carapace. Ce qui fait qu’elle ne s’est jamais interrogée sur sa sexualité – finalement ça ne l’intéresse pas, elle n’a jamais ressenti de désir par rapport à ça. Mais c’était très important pour moi de montrer que c’est pas parce qu’on a un corps hyper sexualisé, qu’on a une féminité très revendiquée, qu’on est dans une démarche de sexe, d’excitation, de désir. Ça n’a rien à voir. 

Votre émission de téléréalité préférée ?

En France, Les Marseillais ! Je les suis depuis toujours – je me sens donc en plus très proche d’eux parce que ça fait des années qu’ils continuent à en faire, et que je les suis.

Comment avez-vous trouvé Malou Khebizi qui incarne Liane ?

Pour incarner Liane c’était important pour moi, par cohérence le projet du film, qui raconte l’histoire d’une jeune femme qui se sent invisible et qui veut être célèbre, de travailler avec une jeune femme qui ne soit pas connue dans le milieu du cinéma, qui n’ait jamais fait de téléréalité, et qui vive dans le Sud de la France. On a fait un long casting sauvage avec ma directrice de casting, on a rencontré beaucoup de jeunes femmes, et Malou s’est imposée très vite. On a beaucoup travaillé avant qu’elle soit validée.

Une fois Malou validée, Liane a-t-elle évolué dans l’écriture, pour la rendre plus proche de Malou ?

Pas tellement, c’est plutôt Malou qui s’est adaptée au personnage, en travaillant à se débarrasser de sa propre image. Elle a le même âge que le personnage, elle issue d’une génération très attachée à son image du fait des réseaux ; elle est née avec les selfies, Malou ! Elle a fait un grand travail pour se débarrasser de son image à elle, et rentrer dans celle de Liane.

La scène du casting est très forte. On sent toute la vulnérabilité de Liane, et ce mix de charme et de cruauté dans la voix de la directrice de casting. Comment avez-vous écrit cette scène ? Avez-vous vu des vraies enregistrements de castings de téléréalité ?

J’ai effectivement vu des auditions de candidat.es de téléréalité. Après, visuellement c’est comme n’importe quelle audition : j’ai reproduit des choses issues de tous les castings que j’ai faits. Au moment de l’écriture, je savais que c’était comme ça que je voulais le filmer : un plan séquence, très frontal, avec presque l’impression qu’elle est en prison, de par la lumière de cette salle de conférence d’hôtel sans âme… Je savais que la directrice de casting serait juste une voix off, qu’on ne la verrait pas, ce qui lui donne un statut presque « divin ». Et en même temps on sent qu’elle pourrait aussi être le spectateur, puisque Malou regarde la caméra, elle passe en quelque sorte l’audition devant nous. Je voulais montrer toute la puissance de cette voix. Antonia Buresi a une voix particulière, très cristalline, un peu une voix de conte de fées ; mais je voulais qu’on sente qu’il y a aussi quelque chose de sournois derrière… c’était extrêmement réjouissant de filmer cette scène, que j’avais fantasmée déjà à l’écriture il y a de nombreuses années.

Qui contrôle qui ? Qui a besoin de qui, finalement ?

Liane est-elle en contrôle de son image, ou est-elle contrôlée par la téléréalité, la société ? Votre film est très subtil là-dessus ; avez-vous un avis plus tranché ?

Question hyper intéressante. Liane, elle sait comment fonctionne la téléréalité. Elle connait les codes, elle est nourrie de cette mythologie moderne. Donc elle a la sensation de contrôler. Là où elle perd un peu le contrôle je dirais, c’est à la rigueur sur la représentation de son corps. Au fur et à mesure du film, elle prend conscience de l’écart entre sa vulnérabilité et son apparence. Elle rentre dans la réalité, au final, c’est un trajet entre l’illusion et la réalité de ce personnage, qui finalement s’incarne en elle-même. Après d’un point de vue plus intellectuel de réflexion, sur la notion de contrôle, on peut se questionner : ces candidates au corps sur-féminisé, sont-elles contrôlées inconsciemment par des injonctions patriarcales, ou se réapproprient-elles ces codes en utilisant leur beauté comme puissance afin de s’imposer dans la société ? C’est une question que je voulais explorer : qui contrôle qui ? Et aussi, qui a besoin de qui, finalement ? Les candidates ont autant besoin de ce système pour exister, que vice-versa. 

C’était important pour moi qu’on soit heureux qu’elle réussisse

C’est paradoxal : on juge son rêve, mais on est en empathie avec elle…

Liane, c’est un personnage qui réunit tous les archétypes de mépris qu’on pourrait avoir pour ce genre de jeune fille. Son rêve, on le juge futile, on le juge dangereux. Ce qui m’importait, c’est de montrer que déjà, c’est un rêve, donc si c’est un rêve, ça doit être respecté. Liane voit dans la téléréalité une manière de naître au monde, c’est vraiment quelque chose d’important pour elle. J’avais à cœur de montrer que c’est quelque chose de noble, et d’essayer de changer un peu la perception du public quant à la nature même de ce rêve. 

(Spoilers) Question sur la fin du film : comment avez-vous décidé cette conclusion de la trajectoire du personnage ?  

La question de la fin est effectivement très importante. C’était épineux. J’avais le choix de faire plein de choses. Elle aurait pu être prise et ne pas y aller, ne pas être prise… Ce qui était important pour moi, c’était de montrer qu’elle a réussi. Peu importe son projet : elle a réussi. Elle a cru en elle là où tout le monde la méprisait, elle a eu raison de s’accrocher, elle a tenu sa ligne et elle a réussi. Elle a atteint son objectif. Maintenant qu’elle est lucide, qu’elle a fait tout un trajet de vulnérabilité, qui lui permet de comprendre des choses, elle pourra prendre une voie ou une autre, réussir ou échouer, faire de ce projet quelque chose de bénéfique – ou pas. Mais c’était important pour moi qu’on soit heureux qu’elle réussisse, qu’on éprouve de la joie, un soulagement. Elle est enfin sereine. 

.

Diamant Brut, c’est en quelque sorte l’histoire d’une Vierge qui attend son miracle : le film est truffé d’éléments religieux. Pourquoi ce parallèle ?

Je trouvais intéressant de montrer une sa croyance religieuse, ça raconte sa fragilité. Ça apportait aussi une profondeur au personnage. Liane a besoin de croire en quelque chose de supérieur pour se sentir soutenue, là où personne autour d’elle ne la soutient, ni sa famille, sa mère, ni la société. Elle doit bien trouver un soutien quelque part. C’est une héroïne qui s’inscrit dans une quête d’absolu, qui rêve tellement haut, qui a des idéaux de perfection tellement grands, qu’elle est dans un chemin de transcendance. Sa religion est une « béquille » pour se dresser contre tous les gens qui doutent d’elle. 

photo post interview


En savoir plus sur Elli Mastorou

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.