La Critique
September et July sont deux sœurs adolescentes aussi fusionnelles qu’opposées : July, la plus jeune, est timide et taiseuse. September, l’aînée, est intrépide et frondeuse. Quand la première se fait harceler à l’école, la seconde est toujours là pour la protéger. Mais leurs jeux façon Jacques a dit (“September dit : retiens ta respiration le plus longtemps possible”) prennent parfois des tournures étranges (“Si je devais mourir, te tuerais-tu aussi ?”). Suite à un incident, elles se retirent avec leur mère dans une maison à la campagne. Avec l’isolement, la dynamique particulière des sœurs arrive à son paroxysme. Pour son premier film en tant que cinéaste, la talentueuse comédienne franco-grecque Ariane Labed aborde les relations toxiques intra-familiales à travers l’adaptation de ce roman britannique de Daisy Johnson. Si September Says n’est pas un film confortable, usant du glauque et du grinçant pour raconter la violence (lames de rasoir, vitres qui grincent, vers de terre), ce drame aux accents gothiques est chargé d’audace dans ses choix cinématographiques. Labed propose de renouveler notre imaginaire avec un cinéma hybride, rugueux, inquiétant et fascinant, où les filles ne sont pas forcément gentilles, ni là où on les attend. EM
Avec Mia Tharia, Rakhee Thakrar, Pascale Kann… Sortie Belgique : 16.04 / Sortie Grèce : 20.03 / Sortie France : 19.02
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Rencontre avec Ariane Labed
Le film a fait sa première au Festival de Cannes en mai 2024. Depuis, il a voyagé près dans de nombreux festivals, dont Gand, ou Thessalonique actuellement (en novembre 2024 NDLR). Après six mois de projections et de débats, qu’est-ce qui revient le plus dans les retours que tu reçois du public ?
Je crois le truc qui me met le plus en joie, c’est des retours généralement de femmes, et de jeunes femmes, qui sont heureuses de voir une fiction qui parle de l’adolescence de cette façon. De voir des scènes de sexe drôles… Même si le film [est dur], je sais, j’entends quand même beaucoup de gens me dire qu’ils en ont mal à l’estomac en sortant, qu’ils ne sont pas bien… Dans ce que j’ai essayé de faire, il y a un rapport physique assez dur. Mais le film est aussi beaucoup lié aux thème du le souvenir, de la perception qu’on a de la réalité… Et c’est intéressant de voir à quel point beaucoup de femmes et de jeunes femmes s’attardent sur des détails qui leur ont fait du bien. Comme une serviette qui dépasse d’une culotte, des trucs comme ça. Ca me touche vachement, parce que pour moi la serviette qui sort de la culotte a autant d’importance que le climax dramatique de l’histoire.

On les remarque parce qu’on est habituées à un certain langage cinématographique. Alors dès que ça sort de ça…
Oui. Il y a des gens que ça braque, et d’autres que ça ravit. Et c’est l’idée.
Ou les deux en même temps.
Oui d’ailleurs.
Pour moi en tout cas c’était un mélange des deux. Ca me déplace, dans un endroit désagréable parfois, comme la scène avec les vers de terre, mais je trouve que les meilleurs films sont ceux qui me font réagir. Le pire c’est un film que tu oublies. J’étais avec une amie comédienne dans la salle, et on réagissait physiquement ! C’est un film qui nous attrape. J’ai pensé à Attenberg, j’imagine qu’on te le dit beaucoup…
Oui oui !
Mais dans mon souvenir Attenberg a une certaine tendresse, alors que dans September la cruauté de la grande sœur m’a prise au dépourvu au début…
T’as envie que ce soit de la sororité belle et pure… Je comprends.
Mais c’est vrai que même dans des relations de sororité il peut y avoir des choses toxiques.
Pour moi c’est un peu dans la même idée de donner un rôle de méchante à la fille en fauteuil roulant. C’est simplement, autre chose. Parler de toxicité et mettre un mec toxique… c’est plus attendu, disons. Et puis, pour moi, September est la garante du patriarcat dans la famille. Elle le dit : « je tiens de mon père ».
Même dans le titre, c’est elle qui décide : c’est Jacques a dit, en version toxique.

Avant ce premier long métrage, tu as tourné un court, Olla, et un épisode de la série H24. Sans compter ton expérience des tournages en tant que comédienne. Comment tu dirais que tu as construit, jusqu’ici, ton langage cinématographique ?
Tous les réalisateur.ices disent la même chose, mais je pense que je n’ai toujours pas trouvé un langage. C’est quelque chose qui se cherche, il n’y en a pas qu’un seul, et il change certainement d’un récit à l’autre. September Says par exemple, c’est censé être un film de genre. Et pour moi, c’en est un. Mais c’est ma version de ce que peut être un film de fantôme. ça ne répond peut-être pas aux critères traditionnels. Mais ce qui est sûr, c’est que ce qui m’intéressait, et dans Olla c’était déjà le cas, c’est la recherche un endroit un peu « au milieu ». Hier, lors du débat après la projection, une spectatrice m’a demandé si on devait ressentir un désespoir ou une libération ; eh bien c’est exactement le milieu qui m’intéresse. S’il y a une chose qui m’intéresse dans le cinéma, y compris comme spectatrice, c’est d’être emmenée dans des territoires que j’ai du mal à définir. Que je n’aie pas l’impression qu’on me domine, ou qu’on me dit ce que je dois ressentir ou penser. Donc c’est cette construction-là qui m’intéresse. Et je m’intéresse aux personnages féminins, ça c’est certain. Et puis ce besoin de narration. Je suis loin d’être une pionnière, Akerman était là bien avant moi. Mais j’ai un besoin fou de narration, et de récits d’expériences féminines qui me manquent comme spectatrice. Si j’ai un truc à développer, un langage à chercher, il tourne autour de ça. Dans mes prochains films, je pense même qu’il n’y aura aucun homme (rire).
Quand tu dis « être au milieu », dans la question de l’inconfort qu’on te renvoie ou que tu cherches, il y a de ça aussi je pense : être au milieu, c’est être à cheval, tout le temps, entre confort et inconfort, bienveillance et malaise. Mais je pense que si tu déranges… tu es au bon endroit.
Ouais (rire).
Avant de se quitter, un dernier film vu et aimé ?
Eh ben, j’ai vu Joker 2 que tout le monde déteste. Et j’ai trouvé ça pas si mal ! Je trouve ça très injuste. Il est vraiment dark, ce film. C’est marrant de ce que ça révèle des studios, je trouve.
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