Première publication : L’Avenir – 4 avril 2015

À travers ‘L’incomprise’, touchant portrait de gamine, l’anti-fille à papa de Dario Argento renoue avec son âme d’enfant et interpelle ceux qui ont gardé la leur.

«Je me méfie des gens qui disent avoir eu une enfance heureuse»: élevée malgré elle sous les feux des projecteurs, Asia Argento, au bout du fil, n’est pas dupe. Chacun, à sa manière, a vu son enfance marquée par des moments douloureux. Ceux qu’on retient, ou ceux qu’on refoule. Pas besoin d’avoir eu la même enfance qu’elle donc, pour s’identifier à la jeune héroïne de L’incomprise, le touchant troisième opus de la cinéaste et (ex) comédienne après Scarlet Diva (2000) et Le Livre de Jérémie(2005). Ballottée entre une mère comédienne caractérielle (Charlotte Gainsbourg, excellente en diva rétro) et un père cinéaste mégalomane dans l’Italie des années 80, la petite Aria tente tant bien que mal de se faire une place dans un monde d’adultes où elle se sent… incomprise. Impossible de ne pas faire le lien évident entre Asia et Aria.

Mais Argento tempère, car voir le film comme un copié-collé de son enfance serait un raccourci simpliste: « Bien sûr qu’il y a des choses du film qui viennent de mon enfance. Comme disait Fellini, tout est autobiographique. Mais il y a aussi des choses qui viennent d’amis, de personnes rencontrées… Et les spectateurs y voient aussi des choses de leur propre enfance. Au final, ce n’est pas important de savoir si c’est moi à 80, 85 ou 90%! »

De Comencini à Antoine Doinel

Le titre du film est une référence directe à ‘L’incompris’ de Luigi Comencini (1966) qui a beaucoup marqué Argento dans sa jeunesse. « Petite, j’ai beaucoup pleuré devant ce film. Je l’ai revu récemment avec ma fille, et elle n’a pas pleuré, mais moi de nouveau j’étais en larmes. Cela dit, le petit héros du film de Comencini ne ressemble pas tellement à Aria. Il est plus difficile, mais c’est un garçon, c’est ce qu’on attend de lui » raconte la réalisatrice, qui cite plutôt Antoine Doinel, le jeune héros des films de Truffaut incarné par Jean-Pierre Léaud, comme référence pour le personnage d’Aria.

La “ bad girl ” rangée des voitures

Et malgré les monstres narcissiques qui lui servent de parents, pas question pour Aria de se voir comme une victime. Le film souligne d’ailleurs l’hystérie parentale avec beaucoup d’humour, transcendant le tragique par le comique. Indépendante, Aria poursuit son petit bout de chemin sans se laisser abattre. À l’instar de sa réalisatrice, qui a troqué son image d’actrice et «fille de» choc et provoc’ contre celle d’une réalisatrice et mère apaisée. «Je ne regrette pas ma folle jeunesse, mais je ne la revivrais pas. Aujourd’hui, j’ai hâte d’avoir 40 ans» confie celle qui provoquait jadis la Croisette avec des doigts d’honneur. «Créer ce personnage de “ bad girl ”, c’était aussi une façon de se protéger des autres, de se distancier. C’est comme une cage qu’on se crée. Mais à un moment il faut savoir la briser, et aller vers les autres. Je suis très solitaire, mais j’ai envie d’être plus sociable. Avant, je disais “ c’est MON projet ”. Aujourd’hui j’ai compris que tout est une question de collectif, d’équipe, de famille. L’incomprise, c’est NOTRE film. »

Un projet familial au sens premier du terme, puisque la fille d’Asia, Anna Lou joue aussi dans le film. Et tant pis si Dario Argento, lui, ne l’a pas (encore) vu : pour Asia comme pour tout un chacun, il reste toujours des choses à exorciser dans la famille. L’important, c’est de perpétuellement se remettre en question, pour évoluer: « Viva la evolucion ! » conclut la cinéaste, rieuse, avant de raccrocher. L’incomprise se comprend.

INCOMPRESA (L’INCOMPRISE)

D’Asia Argento, avec Charlotte Gainsbourg, Anna Lou Castoldi, Giulia Salerno… Durée : 1h44. Sortie Belgique : 1er avril 2015

crédit photo : Bardafeu cinéma / Stefano Iachetti