Version intégrale de l’interview parue dans L’Avenir – 27.08.2021
Dans le drame écologique ‘Rouge’, Zita Hanrot (‘La Vie Scolaire’) doit choisir entre ses valeurs et sa famille. Un dilemme qui a fait écho chez cette actrice sensible et engagée, qui depuis son césar pour ‘Fatima’ (2016) se fraye un chemin remarqué dans le cinéma français.
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Comment choisissez-vous vos rôles en général, et celui-ci en particulier ?
En général, ce qui est marrant, c’est que je réalise qu’il y a une part d’inconscient dans la façon de choisir les films. En général quand un film me plaît, ça me fait peur (rires). Du coup j’ai un peu un premier mouvement de recul, parce que souvent c’est que quelque chose dans le film qui me touche directement, et questionne quelque chose que je suis en train de questionner aussi à ce moment-là de ma vie. Donc quand j’ai peur, ça veut dire que c’est bien (rire) ! C’est bon signe, ça veut dire qu’il y a de l’envie.
Qu’est-ce qui vous faisait peur dans ‘Rouge’ ?
En tout cas ce qui m’a donné envie, c’est qu’il y a plusieurs strates dans le film. La question politique, écologique, sociale, qui est bien sûr la partie visible de l’iceberg à la lecture, saute tout de suite aux yeux. Cette jeune femme qui va tout sacrifier au nom de la vérité, et donc s’engager totalement quitte à tout perdre, cette peur aussi qu’elle a d’aller vers ça… Toute la question sociale, que je trouve très importante, me donnait envie. Il y a la question de l’écologie, mais derrière il y a toute la question du chantage à l’emploi, qui résonne avec plein de choses qui me touchent personnellement – je ne vais m’étaler mais en tout cas je me suis dit OK, ça, j’ai envie d’en parler. Ensuite il y a ce deuxième niveau de lecture, plus métaphorique, sur cette jeune femme qui était aide-soignante au départ, et qui revient (dans sa ville natale NDLR) avec cette culpabilité énorme de ne pas avoir su soigner, de ne pas avoir pu faire ce travail comme il le fallait. Elle revient à 30 ans chez elle comme si elle était marquée. Mais on voit dans le film qu’au fur et à mesure, elle va quitter les œillères de l’enfance, celles qui te font voir les personnes qui t’ont élevée avec une espèce d’idéalisation, de fantasme. Le père, c’est un être parfait, charmant, en plus comme c’est Sami Bouajila… Au fur et à mesure, elle va quitter ces illusions et voir la réalité sans l’édulcorer, sans la rêver. Elle va voir les paradoxes, les failles de sa famille. Donc il y avait cette dimension de secret familial aussi dans le film, qui me plaisait. Il y a plusieurs strates dans le film, il questionne des choses sur lesquelles je questionne aussi dans ma vie, je trouvais qu’il y avait un écho très fort, qui m’a fait très envie et très peur.

Le conflit générationnel entre votre personnage et son père est aussi un des sujets du film…
Je pense en effet que cette question générationnelle est au centre du film. Ce que réussit à faire Farid (Bentoumi, le réalisateur, NDLR), c’est de ne condamner aucun des personnages. On les comprend tous. Parce qu’en fait ce sont d’autres réalités, d’autres nécessités aussi. Sami, le père, est censé préserver l’emploi – et je le comprends tout à fait ! C’est un film qui est assez honnête sur ces questions-là, en fait. C’est pas un film qui dit « Hey regardez l’écologie c’est super, lanceur d’alerte c’est trop bien »... Il y a une réalité derrière le fait de fermer toutes ces usines qui polluent : des gens vont se retrouver sans rien ! Farid, il a une petite fille de 10 ans qui s’appelle Nour, et quand on a présenté le film, il a dit : « Ma fille, sa génération, ils vont vouloir nous buter ! » (rires) C’est quelqu’un de lucide, de conscient, d’engagé. C’est vrai qu’il y a cette question de générations, entre les différentes réalités.

Ce film a-t-il nourri votre engagement sur des questions comme ça ? Est-ce que vous êtes du genre à manifester, ou votre militantisme s’exprime-t-il plutôt à travers vos choix de films ?
Alors justement, avant, physiquement, je ne m’engageais pas, j’allais pas vraiment en manifestation. J’habite à côté de la place de la République à Paris, où ont lieu toutes les manifs, et en fait ça a commencé pour moi avec la réforme des retraites. Mais je sais que quand je suis allée manifester ce n’était pas seulement pour les retraites. Comme beaucoup, je sens qu’il y a une injustice sociale très forte, et aller en manif, c’est une façon de dire que tu n’es pas d’accord. Mais en fait, c’est vraiment avec le confinement que j’ai commencé à m’engager davantage, sur des actions sociales, et d’aide pour personnes dans le besoin. Quand il y a eu le Covid, d’un coup je me suis dit, je suis jeune, je suis en forme, j’ai de l’énergie… et là j’ai du temps, vu qu’on ne tourne pas (rires) ! A un moment, je ne peux pas rester dans mon coin et juste fantasmer un engagement intellectuel – ce qui est bien aussi, mais en effet il faut parfois être sur le terrain physiquement… Dans les choix de films, le premier truc important pour moi, comme ici, c’était vraiment l’écho humain. Que ce soit pas simplement des films « à sujet », mais qu’il y ait quelque chose qui se passe.
Qu’est-ce qui a changé dans votre carrière depuis le César en 2016 pour ‘Fatima’ ?
Ca a tout changé. Quand j’ai tourné ‘Fatima’, j’avais fait quelques films, mais je sortais vraiment de l’école, j’étais juste en mode : « Ah il y a du travail, c’est cool ! » (rires). Ensuite il y a la question du choix, qui est une véritable question, et que j’avais peut-être minimisée, parce que quand tu viens d’être diplômée, ton seul but c’est travailler : on te file du taf, tu prends. Et plus ça avance, plus tu te dis OK, qu’est-ce que moi je veux raconter, incarner ? Qu’est-ce que j’ai envie de découvrir de moi, des autres ? Je pense que le métier d’actrice est intimement lié à la vie, j’ai vraiment du mal à les séparer. J’aimerais bien, mais j’en suis incapable !
ROUGE – NOTRE AVIS
Ce que ça raconte : À la suite d’un burn-out, Nour (Zita Hanrot, ‘La Vie Scolaire’), soignante, retourne chez ses parents. Elle décroche un poste d’infirmière dans l’usine chimique où travaille son père Slimane (Sami Bouajila, ‘Un Fils’). En poste depuis 30 ans et délégué syndical, Slimane est une figure respectée. Nour est fière de travailler à ses côtés. Mais un jour, alors que l’usine subit un contrôle sanitaire, Nour rencontre Emma (Céline Sallette), une journaliste qui mène une enquête. En effectuant des recherches, les deux femmes vont découvrir que cette usine qui donne du travail à la région depuis tant d’années cache pas mal de sales secrets. Pour Nour, dévoiler la vérité va signifier devoir s’opposer à son père…
Ce qu’on en pense : Son premier film, le sympathique ‘Good Luck Algeria’* sur un skieur algérien aux J.O., était inspiré de la vie de son frère. Pour ‘Rouge’, Farid Bentoumi s’est inspiré aussi de plusieurs histoires vraies pour écrire ce triple drame écologique, générationnel et éthique. Le film questionne habilement tous les points de vue, du patron à l’ouvrier, du jeune au plus âgé, sans les diaboliser. Le tout porté par Hanrot et Bouajila, qui forment un duo père-fille sensible et intelligent. Le résultat est un film à la fois accessible et engagé, au scénario parfois hésitant, mais prenant de bout en bout.
Drame de Farid Bentoumi. Avec Sami Bouajila, Zita Hanrot, Olivier Gourmet, Céline Sallette…
Durée : 1h39.
*cliquer sur le lien pour le meilleur titre-jeu de mots de ma carrière jusqu’ici
Visuels : Cinéart
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