« C’est un rôle qu’il ne faut rater pour rien au monde » : Laetitia Dosch à propos de ‘Passion Simple’

Version intégrale de l’interview parue sur Les Grenades (RTBF) – 11 août 2021

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Comment ce projet vous a été présenté ? Est-ce le genre de rôle qu’on accepte d’emblée ?

(sans hésiter) Oui ! (rires). C’est un rôle qu’il ne faut rater pour rien au monde. En fait Danielle avait du mal à trouver son actrice, plusieurs personnes se sont succédé sans succès… Elle a rencontré plein de gens, elle ne trouvait pas ce qu’elle voulait. Et puis moi je suis une grande lectrice d’Annie Ernaux, j’adore. Et je venais de travailler avec le producteur de Danielle, que j’aimais beaucoup. Et hop, on s’est rencontrées… Et tout de suite, ça a « matché », en fait. J’avais lu le livre avant, bien sûr, mais sans rapport avec le film. Donc on me propose ça, je dis « Mais bien sûr ! » j’ai même pas besoin de lire le scénario ! Et puis je rencontre Danielle et j’ai été encore plus séduite, par le soin qu’elle voulait donner aux images, elle parlait… c’est une poète Danielle, et qui passe par la photo, donc elle me parlait d’images, du supermarché… les corps quand elle les voyait, on avait envie d’être modèle pour elle, en fait. En plus de vouloir interpréter le rôle. Après, j’ai beaucoup aimé comment elle parlait des scènes physiques. Elle disait – elle voulait nous faire peur en fait, parce que les autres actrices avant apparemment ont eu peur, ce que je peux comprendre. Elle me disait : « Attention il y aura 8 scènes d’amour, c’est très important pour moi de montrer que dans chacune est différente, qu’il y a quelque chose de l’humain qui se joue dedans de très fort » : le rapport change, c’est des baromètres, un peu. En plus de la beauté de donner envie de se toucher – on en a quand même bien besoin en ce moment ! Tout de suite j’ai dit c’est fantastique, et c’est vrai que j’ai pas eu peur du tout de ça. C’était plutôt comme un besoin, je trouvais ça beau que ça existe. Après, bien sûr, en vrai c’est pas forcément facile d’être nue… Mais c’était secondaire. 

La peur est ailleurs ? Qu’est-ce qui peut vous faire peur comme scène à tourner, ici ou en général ?

Je ne sais pas si ça me fait peur, mais par exemple dans ‘Jeune Femme’ il y a une scène chez le psychiatre avec un monologue de 4 pages… ! En fait, dès que ça me fait peur, c’est un défi, parce que je me dis : « cette scène je ne sais pas si je suis capable de la jouer » Du coup… j’ai envie de la jouer ! Mon but c’est de faire mon métier le mieux possible, forcément. Après dans ce film-ci, ce qui me faisait peur, enfin pas peur mais il fallait aller chercher des blessures, quand même. Il fallait faire revenir des histoires du passé… En fait Annie Ernaux a dit qqch l’autre jour en interview : « Quand j’ai fini d’écrire ce livre, c’était comme la fin de mon innocence. » Et finalement, il y a quelque chose de cet ordre-là quand on joue un film comme ça. Après, il y a une innocence qui est finie. Je ne sais pas comment vous l’expliquer autrement, je ne peux pas trop en rajouter, mais il y a quelque chose de cet ordre-là. 

Ce livre a été écrit il y a une vingtaine d’années. Avez-vous le sentiment que la façon dont on parle des relations intimes a changé depuis ?

Oui… Alors il faut que vous sachiez qu’à l’époque, c’est un livre qui avait fait scandale : le fait qu’une femme comme Annie Ernaux, très engagée à gauche, et politiquement dans une écriture qui est vachement sur le social, pratiquement sociologique, puisse estimer que sa sexualité a de la place là-dedans ; puisse estimer que ce soit mis en avant. Dans les critiques de l’époque que Annie m’a fait lire, il y a des titres qui ont fait « tilt » – c’était ‘Annie Ernaux ose parler du sexe de l’homme’… Le fait de mettre un homme comme objet de désir, c’est pas quelque chose qui était facile à l’époque ! Je pense que ce qui pourrait déranger davantage maintenant, pour l’instant ça va, mais c’est comment le fait qu’une femme indépendante, forte – et mère, fasse passer tout ça au second plan. Se perde, en fait. Mais au cinéma, on a besoin, et de toute façon dans la vie aussi, d’être troublé. Être confronté à des questions profondes qu’on se pose… Donc heureusement qu’on a des personnages qui font que pas de nous montrer des exemples – et d’ailleurs c’est pas spécialement un contre-exemple : c’est une femme qui est dans un dilemme… Comme nous ! 

Est-ce qu’au moment où vous avez impliquée dans le projet, vous connaissiez déjà l’identité de votre partenaire de jeu ? On sait que c’est quelqu’un qui peut provoquer des polémiques, comment ça s’est passé ?

En fait Sergueï est arrivé tellement tard, alors qu’en fait il était là depuis le début sans qu’elle le sache : Danielle dans son premier scénario a pris une feuille de magazine et l’a mis dedans : c’était Sergueï ! Et elle l’a oublié, s’en est souvenue après… C’est quelqu’un normalement qu’elle ne pensait pas pouvoir avoir, parce que les gens disaient « Sergueï, c’est Dieu, il est inaccessible »… Et puis est arrivé ce mec très gentil à l’audition… Je ne sais pas, une espèce de Johnny Depp jeune, super mignon… On s’est tout de suite très bien entendus, et ça l’a fait très bien. Après est-ce qu’il fait des polémiques, oui carrément ! Et le connaissant, je ne comprends même pas pourquoi, parce que… Parfois j’en parle avec lui, je lui dis mais qu’est-ce qui te prend ? On a l’impression qu’il ne croit pas vraiment à tout ça, en tout cas vu de l’intérieur… Je pense qu’il provoque, c’est comme ça que je le sens. Moi je ne l’ai jamais vu ni grossophobe, ni homophobe, avec personne… Vraiment ultra respectueux. Poutine il ne m’en a pas parlé plus que ça ! Je ne sais pas franchement, vous savez c’est quelqu’un qui a subi une éducation… La danse, c’est quand même un truc qui vous… Vous avez besoin de faire tout péter de temps en temps. Y a un côté comme ça chez lui. Mais moi ce que je peux dire c’est que c’est vraiment quelqu’un de très gentil. C’est comme dans le livre, en fait, parce que dans le livre le mec il est un peu limite, aussi. Il est vachement sur le pouvoir, politiquement il est assez limite… Y a un truc de l’homme russe là-dedans, peut-être. 

Comme quoi voilà, ça peut arriver à tout le monde d’être attiré par des personnes problématiques pour des raisons qu’on n’explique pas toujours…

C’est vrai.

Comment est née votre vocation d’actrice ? 

J’étais une adolescente plus que timide, j’étais vraiment presque muette. C’était pas rigolo du tout, j’étais vraiment ultra renfermée sur moi-même. Du coup on m’a dit « va au cours de théâtre ». Un jour j’ai commencé dans une scène à imiter ma mère, et les gens ont ri. Je ne pensais pas que ma mère était drôle. Donc ça ouvre votre vision de la vie, sur scène elle change, parce que vous confrontez des choses de votre quotidien et ça a des réactions intéressantes. Du coup je me suis dit « Ah mais je pourrais faire ça, en fait ! » Après voilà comme plein de gens je me suis dit « Non mais faut être Machin pour devenir actrice, faut être très belle » ou des choses comme ça. Et puis un jour j’ai rencontré un acteur professionnel, quand j’avais 18 ans, et je l’ai suivi dans sont travail pendant tout un temps. Du coup après je lui ai dit : « Je veux faire comme toi ». Puis voilà, j’ai passé une audition pour entrer dans un cours, j’ai fait 7 ans d’études de théâtre, et je suis sortie il y a 13-14 ans maintenant, et je travaille depuis, tout le temps. 

Y a-t-il eu un moment précis, un élément déclencheur où vous vous êtes dit « Ok c’est ma vocation, j’ai le talent pour le faire » ?

Franchement c’est pas très féministe de dire ça, mais c’est par le regard d’un homme. Je vais vous raconter l’histoire, parce que je trouve ça assez intéressant quand même. Cet homme donc, il m’a accompagnée, il m’a aidée à passer l’audition pour rentrer dans un cours. C’était quelqu’un on va dire pas excentrique, mais assez torturé-excentrique. Et tout d’un coup, après que l’audition se soit bien passée, il est parti d’un coup. Et il est revenu trois heures après, et il m’a dit « Tu sais Laetitia, deux acteurs ensemble, c’est pas possible. Sans faire exprès, je vais t’empêcher de faire ton métier. » Il m’a dit qu’on allait se quitter. Moi sur le moment j’ai rien compris, j’ai compris ça que très longtemps après, puis je suis pas forcément d’accord avec ça, mais c’était sa vision. Il a été assez honnête pour me la partager. Il était plus âgé que moi. Et donc c’était une grande souffrance, mais c’était aussi une manière de me dire que j’allais y arriver, en fait. « Il faut que t’y arrives parce que tu es faite pour ça, c’est bien que tu le fasses ». Donc finalement c’est quand même par une rupture que je me suis dit – enfin je ne l’ai pas du tout vécu comme ça, mais ça m’a comme, en y repensant, donné une légitimité. Il trouvait plus important pour moi, pour mon bonheur, que je devienne actrice plutôt que je reste avec lui. Donc il pensait que j’étais faite pour ça. 

Il y a aussi une perte de naïveté quelque part… Quand on le vit on s’en rend pas compte, mais après coup…

Ouais. Mais j’ai vraiment compris longtemps après, hein. Et puis je ne suis pas tout à fait d’accord avec ça. Je pense que deux acteurs pourront vivre ensemble, ça va causer d’autres problèmes que s’ils n’ont pas le même métier, mais c’est aussi faciliter d’autres choses, donc je ne pense pas que ce soit une vérité absolue.

Ça dépend du genre d’acteur, en fait. 

Exactement, ouais. 

Est-ce qu’être actrice c’est pas aussi apprendre d’une certaine façon à toujours vivre dans le regard des autres ?

Euhhh… C’est peut-être apprendre à trouver son propre regard sur soi-même dans une situation où on est regardé par d’autres. Ça fait partie du travail. Et ce qui fait aussi partie du travail je trouve, c’est de… On va être désiré-e, plus désiré-e, re-désiré-e, oublié-e… Donc le regard des autres va tout le temps bouger. Et soit il va falloir qu’on tienne, comme ça quoi… Ce que je trouve beau quand je vois des actrices plus âgées, en parlant avec elles ou même en les regardant en interview, c’est que c’est des personnalités – des actrices donc qui dépendent du regard des autres, et qui ont des personnalités très marquées ; donc c’est un chemin de vie, c’est peut-être un chemin de croix par moments, mais ça fait partie du métier, même si c’est pas pour ça que j’ai voulu faire ce métier, je ne crois pas. Je l’ai fait parce que je voulais entrer dans plein de personnages, comprendre la nature humaine dans des vies différentes… Ça c’est vraiment le côté du métier qui me plaît. Ce dont on parle c’est le côté du métier qui repose sur des blessures, des besoins de réparation, qui arriveront ou pas… C’est un endroit troublant, hein ! Comme l’amour, d’ailleurs !


Grave, il en faut de l’amour pour réaliser un film aussi. En parlant de ça, apprendre sur la nature humaine, qu’est-ce que ce film vous a appris sur la nature humaine ?

Bon y a un truc un peut bête hein, c’est pas sur la nature humaine, mais sur moi. Figurez-vous que… Bon, pour de vrai, ça m’a appris que j’étais une belle femme. C’est un peu idiot, surtout que… Ne pas lutter contre le fait d’être… jolie. Ne pas avoir à s’en excuser, ou à avoir à le combattre… De l’accepter. Accepter qu’un jour ça va partir, aussi, que y a des jours où c’est pas là…. Que… On est pas toutes égales là-dessus… Que c’est un regard, c’est une place, les hommes n’ont pas les mêmes critères… Cet endroit troublant, ça m’a permis de l’accepter. Voilà. 


Je trouve ça vachement émouvant. 

Ah oui ? En tout cas, si vous voulez, moi j’ai toujours un peu honte d’en parler, de ce truc. C’est sorti… sur la nature humaine j’ai rien appris de très brillant, si vous voulez (rires) ! 

La première fois que vous avez vu le film terminé, vous avez réagi comment ?

J’ai trouvé ça super bien. J’étais étonnée que le film ne soit pas plus chaleureux, je pensais que ça allait l’être davantage vu le tournage. Et en fait je l’ai trouvé assez analytique, et j’ai bien aimé ça, il y a un côté un peu chirurgical, Danielle m’en avait parlé mais j’y croyais pas deux secondes (rire). Donc j’ai trouvé ça très beau, j’étais super fière d’être dedans. Je me suis trouvée belle, comme je vous ai dit (sourire). Et surtout j’ai trouvé que le film était très bon, et d’imaginer ça dans une salle avec d’autres films à côté, je trouvais qu’il était comme… il arrive au bon moment, et en même temps on ne l’attendait pas. 

En parlant du côté femme fatale justement que vous avez dans le film, Danielle avait envie de vous blondir… C’était inexploré ou nouveau pour vous ?

Clairement. J’avais très envie de me dire que c’était possible qu’on me donne un rôle comme ça. 

visuels : O’Brother Distribution

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