How to have sex : rencontre avec Molly Manning Walker

Et vous, votre première fois, c’était comment ? Derrière son titre malicieusement trompeur, How to have sex ouvre un débat pertinent sur le plaisir féminin et le consentement.

Version intégrale – article paru sur Les Grenades

Premier long-métrage prometteur de la réalisatrice britannique Molly Manning Walker, How to have sex (un titre à prendre au douzième degré) nous plonge, caméra épaule et sans ambages, dans l’adolescence avec toutes ses joies et ses tourments. La mise en scène est immersive, les couleurs sont saturées, la musique électro tape fort. Mais derrière les sourires alcoolisés, ce conte d’été prend des allures de thriller, au fur et à mesure que son héroïne déconstruit à son corps défendant les mythes autour de « la première fois ». Présenté dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes en mai 2023, le film a remporté le premier prix.

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NB – interview en table ronde réalisée durant le Festival de Cannes.

How to have sex parle – fatalement – de sexe. Comment avez-vous abordé la mise en scène de cet aspect du filmy compris le côté désagréable, ou non consenti ?

Au cinéma, les agressions sexuelles sont souvent représentées de façon violente, très dramatique – or pour moi la réalité est plus subtile que ça, ce sont des choses qui arrivent parfois dans le quotidien, dans nos relations. Je voulais raconter cet aspect-là du point de vue de l’héroïne, à travers ses émotions. Je voulais en ce sens parler de ces expériences que chaque femme connaît. Par ailleurs, pour moi regarder une scènes de viol est très inconfortable, c’est je pense le cas pour toute femme qui a traversé quelque comme ça : on n’a pas besoin de revivre ce traumatisme. Donc je voulais adapter la mise en scène, faire des scènes courtes, faire le point sur le visage plutôt que sur des détails de l’acte en lui-même…

Lors de la présentation du film au Festival de Cannes, vous avez déclaré : « J’espère que ce film permet d’ouvrir un nouveau débat. » Quel est ce débat, selon vous ?

J’ai le sentiment que la discussion autour de la notion de consentement est devenue très « noir ou blanc », et je pense que c’est plus complexe que ça. Si pendant l’acte on réalise que l’autre personne ne passe pas un bon moment, si elle est mal à l’aise, c’est notre responsabilité de check in, de demander si ça va, de s’intéresser aux émotions de quelqu’un. C’est ça, le débat.

Pour Tara, comme pour beaucoup, la virginité est quelque chose dont il faut se débarrasser, un « rite de passage » inévitable – y compris avec son côté désagréable. C’est comme si les mauvaises expériences faisaient partie intégrante de l’apprentissage sexuel…

Oui malheureusement je pense que pour les femmes, ça fait partie de l’expérience – pourtant je ne pense pas que ce soit nécessaire ! Pourquoi ça devrait pas obligatoirement être cette horrible expérience gênante ?

La relation d’amitié entre Tara, Skye et Em évolue entre le début et la fin du film. Que vouliez-vous raconter sur la sororité ?

Je voulais évoquer l’amitié féminine dans toute sa complexité. Au long de ma vie, mes amies m’ont souvent aidée à traverser des moments difficiles.  Mais ça a pu aussi être une source de pression, ou d’incompréhension. Parfois les gens ne comprennent pas ce que vous vivez, ou n’ont pas les bons mots pour vous aider à traverser des choses sur le moment. Je voulais aussi évoquer ces amitiés de lycée, qui sont parfois très fortes à cet âge puis s’évaporent avec le temps, car elles naissent d’un contexte spécifique. Comme on est dans la même classe, on se retrouve à traîner ensemble et devenir ami·es, mais ça ne veut pas nécessairement dire que tu as trouvé ta « tribu ». J’imagine que Tara va rencontrer dans son parcours futur des gens qui la comprennent vraiment.

Comment avez-vous œuvré pour rendre la relation entre les acteurs authentique ? 

C’était un vrai processus de casting. Quand j’ai vu Mia pour la première fois, je savais que le rôle de Tara, c’était pour elle – et à partir de là, on a construit les relations autour d’elle. Chaque fois qu’on pensait avoir quelqu’un qui collait pour un personnage, on organisait une répétition avec Mia. C’était important de s’assurer que ce groupe de personnes ont la bonne énergie. C’était un long processus, et ma directrice de casting m’a soutenue à travers toutes mes nombreuses demandes de screen test (rire) ! Je suis très reconnaissante qu’elle l’ait fait, parce que je pense que c’est ce qui fait que le film est ce qu’il est. 

Tara (Mia McKenna-Bruce)

Une des scènes fortes du film est celle de la rue pleine de bars entièrement vide et silencieuse, filmée de jour, au lendemain de la fête… C’est assez effrayant ! Pourquoi ce choix ?

Les gens aiment beaucoup ce plan (rire) ! Ce que je voulais représenter à ce moment-là, c’est la façon dont Tara est perdue. On passe beaucoup de temps près de son visage, on la suit au plus près de ses émotions, physiquement et émotionnellement la caméra lui colle à la peau. Donc il y a un vrai sentiment de vide quand soudain elle n’est plus à l’image. Dans ce genre d’endroit de vacances, on entend souvent des histoires du genre « mon amie n’est pas rentrée un soir » – donc on a forcément peur de ce qui aurait pu se passer.

Parlons des hommes du film : que vouliez-vous raconter de la masculinité ? Il y a Paddy, le séducteur toxique, ou encore Badger, le « mec sympa » en apparence, mais qui ne semble pas ignorer le genre de mec qu’est Paddy… pourtant il ne fait rien.

Je suis contente que vous ayez remarqué ça. Je pense que ce qu’on essayait de faire, c’est permettre aux hommes de se voir dans le film, pour une fois, sans être diabolisés de façon hardcore. Mais en effet, on voit dans la scène du balcon que Badger essaye de justifier le comportement de son ami. « On vit dans la même rue, ma mère est amie avec sa mère… » C’est important pour moi d’aborder ça, et j’espère que devant le film, si les hommes ne s’identifient pas à Paddy, ce qui je pense est difficile pour eux (même si je sais que certaines personnes reconnaissent des comportements qu’ils ont eu dans ce personnage), qu’ils se reconnaitront dans Badger, et que ça leur permettra de défendre et soutenir leurs amies à l’avenir. 

Comme vous avez dit, bcp de femmes traversent ce qu’on voit dans le film. Quand il y a eu #MeToo certaines d’entre nous ont réexaminé leur adolescence. Pensez-vous que c’est ce qui va arriver à Mia ? #MeToo n’est pas encore arrivé pour elle, et dans le futur elle verra cet peut-être été-là autrement ?

Je pense qu’à la fin du film, elle a déjà compris certaines choses. Bien sûr, c’est le « temps du cinéma » qui est compressé, plus rapide. Mais oui, je pense que le processus de comprendre vraiment ce qui s’est passé viendra avec le temps. Ce qui est dingue, c’est que pendant le tournage les gens autour de moi ont commencé à remettre en question leurs propres expériences. C’était incroyable.

Parlons de l’image du film. Vous êtes vous-même directrice photo, et de nombreux plans sont chargés d’une énergie incroyable. C’est comment de travailler avec un-e autre directeur-ice de la photo quand on l’est soi-même ?

C’est très dur pour moi (rire). Je savais qu’avec 6 protagonistes à gérer en tant que réalisatrice, je ne pourrais pas endosser cet autre chapeau – donc j’ai dû lâcher prise là-dessus ! Ce qu’on voulait, c’est créer un environnement dans lequel les acteurs avaient une pleine liberté de l’espace, afin de pouvoir improviser. On a choisi des lieux de tournage qui pouvaient être éclairés et filmés à 360 degrés, comme les boites de nuit, pour pouvoir évoluer naturellement dedans. C’est l’environnement naturel, pour pouvoir être sur le fil de la tension.

Avez-vous répété sur place ?

On a répété à Londres une semaine, et ensuite on a répété sur les lieux, oui. 

Pourquoi avoir choisi ce contexte spécifique de club de vacances ? 

Quand j’ai commencé à réfléchir sur mes propres expériences, ces endroits font partie de mon adolescence. Aya Napa, Magaluf, Ibiza… En réfléchissant à ces expériences, j’ai compris qu’on se met mutuellement la pression dans ces situations, et que notre apprentissage du sexe s’est bcp beaucoup à travers ces fêtes endiablées. Cet environnement peut mener à ça.

On vous l’a sans doute beaucoup demandé, mais pourquoi ce titre, ironique bien sûr ?

Si ça s’appelait « How not to have sex » on comprendrait assez vite ce qui va se passer (rire). Par ailleurs, pour les ados du film, ce titre est premier degré, ils pensent qu’ils apprennent vraiment comment faire ça. C’est ça qui est triste !

Souvent la virginité est vue comme quelque chose dont il faut se débarrasser…

C’est triste aussi.

Oui ! Pensez-vous qu’on va un peu trop loin avec cette question « d’empouvoirement » ? Au final n’est-ce pas devenu une autre façon de se mettre la pression ? Pour Tara bien sûr comme on le voit dans le film, mais finalement avec toutes…

Je pense oui, c’est ce truc de … Je ne sais pas pourquoi on essaye de s’en débarrasser, ça semble si fou comme concept social. Je pense qu’il y a beaucoup de honte autour du plaisir féminin, et du sexe en général, donc on évite le sujet. Mon film propose d’en parler ouvertement. Parlons de comment le bon sexe devrait être !

Le film a été très bien accueilli lors de sa présentation au Festival, il génère beaucoup de discussions… Ressentez-vous une pression ? Quels sont vos rêves pour l’avenir, quel genre de réalisatrice voulez-vous être ?

Premièrement, merci, et ensuite… (réfléchit). J’ai vraiment envie de continuer à raconter des histoires qui sont importantes pour moi, et qui racontent le monde actuel. J’ai quelques projets dans les starting-blocks, sur d’autres sujets. 

Le personnage de Skye est intéressant : elle met la pression à Tara pour coucher, car elle est persuadée que ça va être une super expérience pour elle, pourtant on sait que ce n’est pas souvent le cas. Que vous racontez-vous sur ses motivations ? 

Je pense que Skye a probablement vécu dans son passé des expériences pas géniales, et elle sait que ca ne sera pas génial pour Tara non plus, mais elle donne le change, elle fait semblant. D’une certaine façon, ses insécurités ressortent de façon oppressive, et on a connu bcp de filles comme ça à cet âge, à pousser tout le groupe dans une direction, alors qu’en coulisses elles ont beaucoup de soucis. 

Le film n’est pas complètement hétéro : le personnage de Em sort avec une fille. Une relation queer qui est représentée de façon positive…

Oui, c’était important pour moi d’amener cette représentation, parce que si une chose a changé récemment, c’est qu’être queer est vu comme quelque chose de positif. La nouvelle génération fait un superbe travail dans ce sens ! Et pour être honnête, je ne comprenais pas vraiment le sexe et le plaisir jusqu’à ce que le sexe gay arrive dans ma vie, donc je pense que (cette relation dans le film) est un symbole de lumière et d’espoir. 

Avez-vous eu recours à de la coordination d’intimité ? C’est de plus en plus courant, mais aussi parfois contesté.

Pour être honnête, je me demande comment on faisait des films sans ce poste jusqu’ici. Enfin, on sait comment… mais bref. C’est un concept essentiel pour moi, d’autant plus quand on tourne un film sur le consentement et le trauma. Je connais beaucoup de gens qui ont vécu des expériences traumatisantes sur un tournage, et c’était essentiel que le plateau soit un endroit safe pour les acteurs et toute l’équipe. Surtout quand le film parle justement de ça !

Un mot sur la collaboration avec la Grèce, qui coproduit le film ?

L’équipe grecque super, c’est comme une deuxième famille pour moi aujourd’hui – j’ai envie de vivre à Athènes ! Ils ont vraiment compris le film, et accepté celui-ci comme un des leurs. La collaboration entre la team anglaise et grecque était géniale, je suis très reconnaissante. 

(NB. Remarque de Molly Manning Walker sur bienveillance entre journalistes autour de la table pour poser des questions : on est que des femmes, quand c’est des hommes l’énergie est différente <3) 

Quel a été le plus gros défi, et le plus gros plaisir sur ce premier film ?

Le plus gros défi, c’étaient les scènes en boîte de nuit. Quand j’ai réalisé combien de figurants j’aurais besoin, j’ai paniqué (rire) ! On se dit chouette, on va faire la fête… Mais après concrètement, quand il fait refaire la même scène plusieurs fois, avec le bruit et tout… Dur ! On a tourné toutes ls scènes de fête les deux premières semaines du tournage, c’étaient les deux semaines les plus folles. Mais une fois que c’était fait, ça allait. Quant au plus facile… c’était de tourner sur une île grecque (rire). Un vrai rêve.

Le film est très réaliste sur des petits détails, comme les scènes des jeux à boire… C’est inspiré de votre propre vie, ou d’ami-es ?

Oui, tout est tiré de nos expériences pour être honnête, la plupart en tout cas. Par ailleurs, je suis allée à Malia en amont du tournage, pour faire des repérages, observer les gens, les ados, leur façon d’interagir… Le film est un mélange des deux. 

Beaucoup d’émotions du film passent par le non-verbal : on comprend beaucoup de choses à partir du body language de Tara, ses expressions faciales. Au début elle est joyeuse, et au fur et à mesure on voit comment elle change. Comment avez-vous obtenu ça ?

Mia est une actrice exceptionnelle, elle n’avait pas besoin d’en faire trop. Pour moi l’enjeu était la différence entre ce qui se passe en elle, et autour d’elle. Les apparences, versus l’intériorité. Une question constante du film, c’est combien elle dissimule, combien elle retient, à quel point est-elle sincère avec elle-même ? On évaluait ça à chaque étape du parcours. 

Les trois amies du film sont à un moment très précis de leur vie : entre la fin du lycée et le début de l’université. Ca rend les enjeux de virginité plus ‘pressants’ pour Tara. Pourquoi avoir choisi cet âge-là, ce moment-là ?

Pour moi c’est ce moment où on ne sait pas encore exactement ce qu’on veut de la vie. Après cet été-là, c’est probable que chacune des filles suive un chemin différent, que leurs chemins se séparent. Cet amitié de lycée est quasiment comme un point d’ébullition, avant de partir dans différentes directions. On a discuté de les rendre plus âgées, mais ça me semblait le bon âge, le bon moment dans leur vie, pour raconter ça.

How to have sex de Molly Manning Walker. 2023.


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