Ken Loach : « La solidarité existe, on en est encore capables »

version intégrale de l’interview parue dans L’Avenir mardi 24 octobre 2023 

Après la Palme d’Or Moi, Daniel Blake (2016) et Sorry We Missed You (2019), Ken Loach clôt sa trilogie du Nord de l’Angleterre avec The Old Oak, présenté au dernier Festival de Cannes. Ecrit par son fidèle scénariste Paul Laverty, le film aborde la crise des réfugiés à travers l’amitié entre TJ, gérant du dernier pub d’un village minier, et Yara, réfugiée syrienne dont la famille vient de s’installer. Contre la grogne raciste de certains, les soupers collectifs du duo raviveront la solidarité d’une communauté minée par la précarité. Une proposition affable et pleine d’espoir pour ce qui est annoncé comme le dernier film du légendaire réalisateur engagé, toujours virulent à 87 ans passés, qu’on a rencontré au Festival de Gand.

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NB. Interview réalisée en duo avec Erik Stockman, journaliste pour Humo.

(Avant le début de l’interview, Ken Loach demande à mon collègue et moi-même nos noms, et pour quel journal on travaille, et face à nos réponses) : Je suis toujours impressionné par le fait que les gens parlent Anglais. 

Moi : Parlez-vous d’autres langues que l’Anglais ?

Ken Loach : J’ai étudié Français à l’école, mais je ne le parle pas assez bien pour tenir une conversation. Je me débrouille pour le « small talk », je peux construire une phrase dans ma tête comme je l’ai appris à l’école, la dire… Et puis il y a une réponse rapide qui vient, et je ne comprends rien ! Je n’ai pas pratiqué avec des gens. Mais c’est incroyable le nombre de gens qui parlent Anglais

Moi : C’est bien sûr une conséquence du capitalisme, de la mondialisation : on reçoit les films, séries, la culture américaine et anglo-saxonne…

Oui, c’est une forme d’impérialisme. C’est ce que les Britanniques ont fait à travers le monde : imposer leur autorité en obligeant les gens à parler leur langue. Pourtant quand les immigrés arrivent en Grande-Bretagne, ils leur disent « Vous devez parler Anglais, sans ça, pas de soins de santé, pas d’aides sociales. No English, no money. » Alors qu’on a pris leur langue. C’est une question de pouvoir…

Moi : Votre dernier film The Old Oak en parle aussi. En tant que Belges, et résidents du Nord de l’Europe, l’histoire de cette famille syrienne qui arrive dans un village anglais nous est familière. En Belgique il existe aussi de nombreux villages miniers que la désindustrialisation a plongés dans la précarité. En Grèce, d’où je viens, il y a eu une montée de l’extrême-droite, mais aussi des gens qui résistent à cela, et qui ont œuvré pour l’accueil des réfugiés.

On a tourné le film dans le Nord de l’Angleterre, dans des communautés minières que je connais depuis des années car j’ai fait un documentaire là-bas en 1984. Et c’est vrai qu’il y a deux tendances, comme vous dites. Dans ces villages, les mines ont fermé, et avec elles les commerces, des écoles, les clubs sociaux, les églises ; parfois il n’y a qu’une seule église pour trois villages. Les gens sont partis, l’Etat s’est désinvesti. Les mineurs avaient leurs maisons du peuple, leurs clubs sociaux – c’est fermé aussi. Dans le cas du film, il n’y a plus qu’un seul pub et ce dernier est sur la sellette. Face à tout ça, les gens sont aigris et en colère, ils se sentent trahis et abandonnés, et c’est vrai. C’est ce terreau-là que l’extrême droite vient exploiter et faire fleurir. « Les immigrés arrivent, ils ont accès aux soins, à l’éducation, ils ne parlent pas Anglais, ça porte préjudice à vos enfants, dehors les immigrés. » Et sans vision politique globale, c’est difficile de sortir de ça. Mais à côté de ce point de vue, il y a le syndicat des mineurs. Des mineurs qui ont choisi de rester, ont dont les valeurs sont basées sur la solidarité. En Grande-Bretagne, c’était un mouvement international, pendant les grèves, les gens voyageaient partout pour apporter leur soutien aux mouvements ouvriers et faire des discours : en Pologne, en Afrique du Sud…  C’était un mouvement de solidarité international. Donc il y a deux attitudes. Une des questions du film, c’est laquelle va gagner ?

Erik : Votre film montre bien ces deux attitudes. Lors d’une scène dans le pub, quand un des anciens mineurs dit « the pub isn’t ours anymore (le pub ne nous appartient plus NDLR) », on le comprend aussi : pour beaucoup de gens c’est difficile de s’adapter à une nouvelle réalité. 

Absolument. En un sens, on le comprend : c’est vrai qu’on est bien chez soi, c’est confortable d’entendre sa propre langue. La familiarité, c’est un confort, et les gens y tiennent. C’est très bien, en soi. Le problème c’est que ça peut mener à quelque chose de mal. Ces gens sont en deuil, ils ont perdu leur communauté, leur lien social. En réalité dans ces villages, beaucoup de maisons sont vides. Certaines maisons se vendent à 5000 pounds. (5700 euros environ NDLR) : c’est moins cher qu’une voiture d’occasion. Et il y a des mineurs comme Charlie, qui prononce cette phrase dans le pub, qui veulent déménager, et qui n’ont plus que ces maisons comme seul bien. Ils sont coincés.

Par ailleurs, je ne sais pas si vous avez ça chez vous, mais en en Grande-Bretagne, dans certaines communes favorisées, on se débarrasse des familles qui bénéficient d’aides sociales, ou sont suivies pour violences ou addictions. Des agences immobilières privées proposent ces maisons « basiques » à 5000 pounds, et les autorités locales (« local council », NDLR) disent « super, envoyez les là-bas ». Donc de nombreuses familles se retrouvent déplacées dans ces villages isolés, où il n’y a rien pour eux. Pas de boulot, pas de communauté, pas d’infrastructure, pas d’hôpitaux, rien. C’est comme ça que ces villages qui étaient l’épitome de la solidarité deviennent des endroits pour des gens qui « posent problème » en ville.

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Moi : C’est un des objectifs du capitalisme : détricoter le tissu social, isoler les gens en les mettant en compétition, et diminuer le sentiment de solidarité, le pouvoir du collectif. Comparé à Moi, Daniel Blake et Sorry We Missed You dont la conclusion était plus sombre, y a-t-il ici une volonté de proposer un film plus lumineux que la réalité du monde ? Est-ce une proposition politique et cinématographique ?

Oui, mais ça doit partir de faits, vous savez, vous ne pouvez pas juste croiser les doigts. Ça doit être basé sur la réalité. Et je pense que la vraie base pour l’espoir, c’est qu’en un sens, on peut être des « bons voisins » (« good neighbour », NDLR). La solidarité, ça existe, on en est capables. Il existe de nombreuses organisations œuvrant pour le soutien des réfugiés. Et dans ces villages, le souvenir de cette solidarité a été réveillé. C’est la pierre angulaire sur laquelle on peut tous s’appuyer pour dire que oui, la solidarité est possible, et elle peut amener un mouvement politique. Mais la solidarité, c’est la base. Il faut commencer par là, pour ensuite s’unir. Depuis le tournage du film, de nombreuses femmes (car encore une fois, ce sont principalement les femmes qui mènent le mouvement, même s’il y a quelques bons types aussi !) organisent régulièrement des rencontres avec des familles syriennes. 

Moi : Vraiment ?

Oui parce qu’ils vivent tout près les uns des autres : il y a des soupers, des kermesses, des soirées, des réunions pour les enfants… et tout ça juste parce qu’ils sont devenus amis sur le tournage. Je pense, et j’espère, qu’il y a de la vérité dans tout ça.

Erik : Solidarité, force, résistance… Ce vocabulaire vient des mineurs, ou ce sont vos mots ?

C’est le même vocabulaire qui est repris sur les bannières des syndicats de mineurs, qu’on voit dans la procession de la scène finale.

Erik : Vous saviez que cette scène, ce défilé de bannières, de mineurs et de réfugiés qui marchent ensemble, solidaires, allait être la conclusion du film ?

Eh bien, c’est Paul (Laverty, le scénariste, NDLR) qui l’a écrite, même si on en discuté tout du long. Et une chose sur laquelle on était d’accord, c’est qu’on voulait que ça soit crédible. On voulait voir si ça fonctionnait avec le reste de l’histoire. Et par rapport aux événements qui se déroulent juste avant la fin (un événement tragique pour la famille syrienne, NDLR), et qui amènent le village à se réunir en solidarité avec eux, on s’est dit OK, c’est crédible que cette dernière scène arrive. Ce qui était important par rapport à la bannière, c’était qu’ils la portent ensemble. Et ce qu’on voit dans le film, c’est le vrai événement, ce n’est pas une reconstitution : tous les ans, environ 200 000 personnes défilent dans le Nord Est de l’Angleterre. Pas seulement les mineurs du village, mais tous les autres syndicats du pays, qui avec leurs bannières, viennent défiler en solidarité. C’est ça, l’incarnation de la force. C’est la plus grande réunion de classe ouvrière dans le pays chaque année… et ce n’est jamais rapporté dans les médias. Il n’y a pas une dépêche, un article – juste un peu au niveau local, c’est tout. Au niveau national, il n’y a pas d’émission, pas d’images, personne n’est au courant ! Et pourtant quand quelques chasseurs – ceux qui aiment tirer sur des renards pour le fun – viennent au rassemblement, ce qui est arrivé seulement deux fois, eh bien là, ça fait la une aux infos !

Moi : Parce que ça ne rentre pas dans le récit médiatique, ça ne colle pas avec leur vision… Ça me fait penser aux mouvements de solidarité envers les réfugiés en Belgique : non seulement l’information n’a pas été médiatisée, mais certains des bénévoles ont eu des poursuites pénales pour « trafic d’êtres humains » … Donc ça fait du bien de savoir que ce genre de chose existe, ça apporte de l’espoir. Et vous, où trouvez-vous de l’espoir ?

Dans le travail collectif. Si vous faites des films comme ceux qu’on essaye de faire, vous ne faites pas juste des films. Certains cinéastes diront « Oh, moi je ne fais pas de politique, je fais juste des films ». Ce n’est pas possible pour nous, parce qu’à travers notre engagement dans les mouvements politiques, le travail collectif, les discussions, les échanges, on a le sentiment de faire partie de quelque chose de global, d’un grand tout. Et ça nourrit les idées qu’on essaye de représenter. Et pour Paul (Laverty, NDLR) c’est pareil, il va aux réunions syndicales comme moi… Même si actuellement c’est compliqué avec le syndicat merdique qui se fait harceler par le leadership d’extrême droite à chaque tournant – mais comment ne pas réagir ? Et en particulier actuellement avec le racisme à l’encontre des Palestiniens, c’est au-delà de l’horreur. 

Erik : J’allais justement vous interroger là-dessus. Gaza, l’Ukraine, la pandémie… N’avez-vous pas le sentiment que le monde actuel est en bien pire état que quand vous avez commencé à faire des films ?

Je pense que oui. Mais de nouveau, comme a dit Elli, c’est le résultat de l’agenda néolibéral. Les exigences des grandes entreprises, et les politiciens qui les soutiennent. Les alliances faites pour sécuriser tels marchés ou sphères d’influence, d’où l’expansion de l’OTAN – et pourtant je suis la dernière personne à soutenir Poutine, ce gangster capitaliste ! Mais si vous encerclez quelqu’un qui est connu pour son agressivité, il finira par faire quelque chose de grave, comme il a fait. C’était une erreur de l’encercler. Et quand on voit le biais incroyable en faveur d’Israël, alors que les Palestiniens sont clairement un peuple opprimé : si vous regardez la carte depuis 1948 et vous voyez les terres qui devraient leur appartenir, ce qu’ils avaient et ce qu’ils ont aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus rien. Les politiciens sont des politiciens, ils disent la même chose, qu’Israël a le droit de se défendre. Mais qu’en est-il des Palestiniens ? Leurs terres sont volées…

Moi : Il y a la défense, et puis il y a le génocide…

Oui, le mot génocide est utilisé en ce moment.

Moi : Et pas à la légère.

Et on voit leurs maisons démolies, déracinées, les Palestiniens tués avec impunité. Bien sûr je n’approuve pas la violence du massacre des 1400 Israéliens, c’est évidemment une horreur sans nom, qui pourrait approuver une telle horreur ? C’est important de le dire, sinon on est accusé d’être unilatéral. Bien sûr que je condamne l’attaque du 7 octobre. Mais on sait bien que toute l’histoire remonte à bien avant ça. Maintenant le double de Palestiniens a été tués…

Hier soir lors de la projection du film, un homme, dont les parents vivent près de l’hôpital qui a été bombardé a pris la parole : il ne sait toujours pas s’ils sont vivants. Et il m’a raconté une histoire ensuite, quand je lui ai parlé – je ne sais pas si vous devriez la publier ou pas, mais voici ce qu’il m’a raconté : une fillette de 9 ans à Gaza était atteinte du cancer, et l’hôpital à Gaza n’avait pas de quoi la soigner : elle a donc dû être transférée dans un hôpital israélien. Ses parents l’ont emmenée à la frontière pour l’accompagner, mais les gardes ont refusé qu’ils aillent avec elle. L’enfant a été opérée seule, l’opération s’est mal passée, et elle est morte toute seule dans cet hôpital. L’homme a pleuré en racontant cela. Comment imaginer ce niveau de cruauté imposé à des gens ? Et ce n’est pas rapporté. Comment ne pas appeler terroristes ces gens, qui ont terrorisé cette enfant et ses parents ? C’est au-delà de toute conception de comportement humain. 

Moi : C’est horrible, et malheureusement pas surprenant vu tout ce qu’on entend. De nouveau, comme dans le film et comme pour les réfugiés, on voit des gouvernements et des politiques qui mènent à la haine de l’autre. De nouveau, les gens les plus vulnérables paient le prix de politiques mortifères portées par un système qu’ils n’ont pas forcément choisi. Et ça vaut des deux côtés, parce que tous les Israéliens ne soutiennent pas leur gouvernement d’extrême-droite…

Bien sûr que non, mais on ne les entend jamais, ces gens-là. 

Moi : Il y a quelques jours, plus de 500 personnes juives ont manifesté au Capitole à Washington, pour demander un cessez-le-feu. Il y a des voix pour la paix des deux côtés de ce conflit. Je ne sais pas si vous avez vu…

Non je n’étais pas au courant – mais comme vous dites, il y a des associations Juives qui œuvrent et militent pour la paix et la justice en Palestine, et elles ne sont pas entendues. Personnellement, je me fais accuser régulièrement d’antisémitisme pour ma position contre Israël et le sionisme. Pourtant, parmi les gens qui me soutiennent, il y a aussi des personnes juives : Jews for Justice in Palestine (JFJFP), Jewish Voice for Labor, des académiciens, des professeurs émérites… L’incarnation de l’establishement universitaire écrit des lettres pour me soutenir, et ces gens ne sont jamais entendus, jamais autorisés à s’exprimer. Le contrôle des médias, et des consciences, est extraordinaire.

Dave Turner (TJ) et Ebla Mari (Yara) dans The Old Oak

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Erik : Et donc c’est vrai, c’est votre dernier film ?

(Sourit) Eh bien, oui. Je ne me vois pas me remettre en selle. Rien que ce dernier film nous a pris environ deux ans à faire, environ 18 mois, entre la préparation et le tournage qui a duré six semaines. Ça prend bcp de temps, sur une période de 2 ans j’étais parti de chez moi environ 1 année au total. Quand on approche des 90 ans, à un moment, ce n’est plus faisable (rire). Donc je ne me vois pas le refaire encore une fois.

Erik : En tout cas je voulais saisir l’occasion pour vous remercier pour ces films, qui m’ont certainement fait prendre conscience de certaines choses…

Merci, vous savez c’est toujours un travail d’équipe. Le travail avec Paul Laverty ces dernières années m’a vraiment porté. On se connaît depuis 30 ans, et avant ça j’ai collaboré avec d’autres auteurs brillants. C’est plus leur film que le mien. On est une équipe.

Erik : Comment allez-vous remplir vos journées désormais ?

Eh bien, avec tout ce qu’on a discuté…

Moi : vous allez aller en manif ? 

(Rires) Oui, enfin, je veux dire, il y a beaucoup à faire ! En un sens, réaliser un film est une bonne excuse pour ne pas faire tout le reste (rire). « Désolé je ne peux pas venir à la réunion syndicale ou au rassemblement, j’ai un tournage ». Je n’aurai plus cette excuse.

Moi : Qu’avez-vous appris sur ce dernier film, si vous pensez apprendre encore de ces expériences ?

Absolument. On commence toujours un projet en se disant « Je ne sais pas comment faire ». Je commence toujours comme ça, et je remonte aux tout premiers principes : qui va rendre ces personnages vivants ?  Comment ? Où les trouver ? Que doit-on faire pour que ces histoires, ces héros, soient aussi bons que possible ? Comment révéler qui ils sont, de façon sécure, et bienveillante ? C’est tout ça. Avec les familles syriennes, c’est une chose de se rencontrer comme on se parle là, mais il faut aussi se comprendre. Pour Paul aussi, l’enjeu c’était comment écouter. On a écouté énormément, pour écrire des choses avec lesquelles ces personnes se sentiraient à l’aise. Mais même comme ça, il y a des choses qui nous échappent, et on a modifié parfois le scénario le moment du tournage. Par exemple la scène d’ouverture : quand la famille syrienne arrive au village et sort du bus, un homme écossais ivre commence à les insulter, les attaque, et vole la caméra de Yara. Lors des premières prises, le jeune garçon qui joue le petit frère de Yara, dès qu’il a vu cet homme, il est allé le confronter. Je lui ai dit « Ecoute, c’est très bien ce que tu fais. Mais dans la scène il est censé piquer la caméra de Yara, et tu interviens avant qu’il ne puisse le faire ». Il a répondu « Mais dans la vraie vie, c’est ce que j’aurais fait : mon père n’est pas là, donc je suis responsable, je suis l’homme, je dois défendre ma famille. » Donc on a réécrit la scène de façon à ce qu’il sorte du bus plus tôt, et qu’il soit déjà à l’intérieur de la maison, une dizaine de mètres plus loin, quand l’homme attaque sa sœur. Mais dès qu’il a entendu l’homme, il est ressorti illico. Ce qui est bien ! C’est à moi de trouver la vérité de son comportement, et pas de lui imposer quelque chose.   

Erik : Il y a une très belle scène tournée dans une église, c’est plutôt surprenant à l’époque actuelle – en Belgique il y a des églises désacralisées qui deviennent des discothèques…

On a besoin d’endroits loin des marchés financiers (rire). Des endroits de réflexion, de poésie peut-être, de musique, des choses qui élèvent l’esprit… et pas besoin que ce soit religieux – les gens réagissent à la beauté de ces églises, à l’espace, à la solennité du lieu… on a besoin de profondeur, d’expériences partagées, de réunions. Souvenez-vous que Jésus a chassé les banquiers du temple !

Moi : C’était un anticapitaliste (rire)

Absolument ! Si on écoute les discours récents du Pape, il prêche un retour à la parole de l’évangile, en parlant du droit à la terre. Ça fait écho à l’actualité – bien sûr lui l’a dit en parlant des pauvres, de la classe ouvrière, mais c’était extraordinaire à entendre, à tel point que je voulais l’écouter, vous imaginez (rire). J’étais présent lors de la commémoration des 50 ans du musée du Vatican, et dans la Chapelle Sixtine, le Pape évoqué la place de la corruption de la « globalisation » – j’aurais dit « corporate power » (le pouvoir des entreprises NDLR) – dans poursuite du profit… A une autre occasion, il a comparé la quête déchaînée du profit (“the unbridled pursuit of profit », NDLR) au « caca du diable » (« the dung of the devil », NDLR). Pour le pape, c’est incroyable de dire un truc pareil. Il a fait le lien entre avidité et destruction de l’environnement ! Mais là aussi, il n’a pas été suivi. Néanmoins c’est intéressant de lire l’évangile comme un appel à la révolution. Après tout « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » … (Matthieu 19 :24)

Moi : Dernière question, à Cannes quand elle a remporté la Palme d’Or, Justine Triet s’est fendue d’un discours politique pour lequel elle s’est fait conspuer par une partie de la société française. Comme quoi la politique n’aurait rien à voir avec le cinéma. D’autres l’ont défendue en rappelant vos discours politiques lors de vos Palmes d’Or. Si vous aviez la même plateforme aujourd’hui, quel message feriez-vous passer ?

Eh bien, quelque chose dans le genre de tout ce qu’on s’est dit. Sur l’importance de reconnaître notre humanité commune. Nous sommes tous des êtres humains, et on mérite les mêmes droits. La paix, la santé, l’éducation, un logement, une contribution à l’économie, un salaire, la tranquillité de fonder une famille, une retraite quand on est vieux… Et ça, ce système économique ne le fournit pas. La vie normale, les droits fondamentaux, sont devenus des « demandes transitoires », comme on dit dans le vieux jargon socialiste. Et les gens qui disent que Cannes n’est pas politique oublient 1968, quand la Nouvelle Vague a fait fermer le festival en soutien aux occupations étudiantes et ouvrières dans les usines. Non seulement ils révèlent leur propre étroitesse d’esprit, mais ils oublient la tradition de Cannes…

Anyway, thanks for coming !

Merci, Monsieur Loach.

The Old Oak, de Ken Loach et Paul Laverty. Sortie Belgique : 25.10.2023

« Et au cas où on ne se revoit jamais… une petite photo ensemble SVP » ?

Visuels : Cinéart

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