Trente-sept

Quand j’étais petite, j’aimais fêter mon anniversaire. Le passage d’une année supplémentaire rendait la journée spéciale et particulière. Sans doute grâce à ma mère, qui organisait toujours pour l’occasion une fête d’exception, avec gâteau pain surprise bougies et ballons.

Au fil des années, j’ai célébré ensuite ce jour-là à ma manière. Je me souviens avoir eu 21 ans rue de Sofia à Paris, à boire des shots entre amants et amis. J’ai fêté mes 25 ans lors d’un double anniversaire bruxellois avec Jonathan. J’ai organisé pour mes 30 ans trois fêtes dans trois pays différents.

En septembre 2019, de retour en Belgique après un voyage de 6 mois en Amérique Latine, j’ai eu l’idée de faire d’une pierre deux coups, en fêtant mes 33 ans et les retrouvailles bruxelloises en même temps. J’ai créé un événement Facebook plusieurs semaines en amont, ça s’appelait « the bitch is back » et c’était étalé sur un week-end entier, comme ça chacun-e pouvait passer à la maison quand il ou elle voulait. Ce samedi matin-là, je me suis levée de bonne humeur, il faisait beau et ensoleillé, j’ai enfilé la robe achetée pour l’occasion, j’ai disposé dans le salon chips et bonbons. Et j’ai attendu.

Le résultat fut ce qu’on appelle un échec cuisant. En début de soirée, une petite bande d’amis proches est passée pour boire un verre et papoter vite fait, avant de repartir à 22 heures, épuisés d’une précédente soirée. À part ça, personne d’autre n’est venu. Zéro. Nada. Chacun-e avait une excuse valable évidemment, une maladie les règles le chien les enfants. Ça c’est pour les personnes qui ont pris la peine de communiquer. Certains et certaines n’ont même pas daigné. Sans doute ont-ils imaginé que leur absence passerait inaperçue entre la foule en délire, l’alcool coulant à flots et les pas de danse effrénés. C’était en tout cas le ressenti dans les messages d’excuse arrivant un à un : « amusez vous bien. » Dimanche matin j’ai compris qu’attendre ne servirait à rien, alors je suis allée sécher mes larmes sur le gazon de la place Morichar ensoleillée tandis que mon frère tentait de me consoler.

Six mois d’absence et tout est dépeuplé. Je me suis sentie stupide, insignifiante, abandonnée. Honteuse, aussi, d’avoir espéré. J’étais tiraillée entre d’un côté l’envie de me rouler en boule et disparaître, et de l’autre d’étaler ma rage sur les réseaux, d’appeler un à un les absents et de les engueuler, de tout raconter sur le mur de l’événement Facebook pour les faire culpabiliser. Evidemment, j’ai rien fait de tout ça, je n’aurais jamais osé. Après tout, ce n’est qu’un anniversaire, dans le monde des gens meurent, on s’en fout. Ils et elles ont eu mieux à faire et puis c’est tout. J’ai juste annulé l’événement Facebook et je n’en ai plus reparlé. Mais dans les mois qui ont suivi, par tristesse, colère ou dépit, il y a des événements auxquels je ne suis pas allée, et des gens que je n’ai pas rappelés.

Depuis, je n’avais plus envie d’organiser quoi que ce soit ce jour-là. Le jour arrivait et je me sentais lasse rien qu’à l’idée de trouver où faire ça, et le bon moment – ni trop last minute ni trop en amont – pour envoyer l’invitation aux gens. Tout ça me semblait un effort naïf et inutile alors j’avais abandonné. Je n’osais même pas rêver d’une fiesta surprise, je savais que ça n’arriverait pas. Je suis du genre à en organiser pour les autres, mais personne n’a jamais pensé à en faire une pour moi – après tout, comme m’avait dit une amie, Elli toujours en vadrouille, si indépendante, si organisée pour ses anniversaires, elle prend toujours les choses en main, après tout elle n’en a pas besoin.

Cette année, comme ça tombait un samedi, j’ai malgré tout timidement proposé un verre quelques semaines avant à une poignée d’ami-es. J’avoue que face à certaines premières réponses évasives, je me sentais de nouveau gagnée par la chape de plomb du ressentiment. La voix dans ma tête m’engueulait déjà, me disant que j’avais tort de placer entre les mains des autres la capacité de me sentir spéciale, aimée, célébrée.

Et puis hier soir finalement, tout s’est bien passé. Il y a eu des amis, de la musique, des rires, des embrassades et des verres remplis. On a trinqué avec des shots de gin à minuit. J’ai même eu des cadeaux, que je n’attendais pas et que j’ai déballé fébrilement. Certaines personnes ne sont pas venues, et je ne leur en ai même pas voulu. Avant tout, il y avait Nelly. Après tout, il y a même eu lui. Le reste est dilué dans le flou éthylique de la fin de soirée.

J’y repense dans l’avion qui quitte Athènes et je souris. J’ai 37 ans aujourd’hui et je crois que je suis guérie.

16/09/2023

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