Adepte des phrases formelles, neutres et impersonnelles. J’ai eu trop nœuds dans les cheveux, dans les doigts et dans la gorge, beaucoup trop de cahiers vides, des rages affûtées et des plages désertes quand le soleil se levait et que je n’avais plus rien à dire. Je ne prends pas de décisions, parce que je ne le tiens presque jamais, j’ai fini par en prendre quelques-unes, et c’était toujours celle de partir, je n’ai pas toujours regardé en arrière, c’est cette porte blanche que j’ai fini par refermer. J’ai toujours parlé des mêmes choses, je n’ai jamais rien apporté de neuf, de constructif, de seyant, j’ai toujours essayé de détruire, je n’en ai fait que des pages et des mots et des phrases. J’ai eu trop, et puis trop peu, et jusqu’à présent un étourdissement, et deux ou trois pas de travers, presque aucune chute, malgré ce que j’ai pu réclamer. Je me suis sentie insipide, vide, folle et j’ai presque effacé des fils électriques que je n’aurais pas dû rencontrer. J’ai combattu avec une hargne que je ne me connaissais pas des châteaux de cartes imaginaires auxquels j’ai pourtant cru, j’ai eu des pinces en métal entre les doigts, j’ai grimacé devant des milliers de miroirs, presque autant que ceux auxquels j’ai souri, je n’avais rien pour. J’ai écrit des dizaines de textes qui ne voulaient rien dire, que je comprenais pourtant à demi-mot, chaque mot soupesé pour qu’il ne veuille dire que ce que j’ai seulement envie qu’il laisse transparaitre, la nudité de l’explicite drapée dans un capharnaüm verbal savamment masqué. J’ai brûlé des centaines de flammes, rempli mes poumons de fumée, debout parce que je n’aime pas marcher avec ma cigarette, ou assise avec la cheville sur le genou, comme d’habitude. Dans la chaleur et les souffles, j’ai murmuré des choses que je voudrais qu’on oublie, je n’ai rien dit, ce n’était pas moi mais la fièvre. J’ai fredonné mille et douze mélodies entre deux chemins de campagne dans une voiture désossée, au fond d’une île qui me connaît un peu mieux que je la connais elle, avec une église au coin et des chemins peints en blanc sur le sol. J’ai recherché les strapontins des yeux, et entre ces deux stations j’ai encore décidé ce que je ne saurais tenir mais qui me tient, cette banalité que je repousse pour m’en persuader. J’ai encore trop de poussière sur les yeux, et entre les tiroirs par terre, après je me suis levée et le reste n’importe pas, parce qu’il n’y a pas de reste, parce que je me débarrasse du reste avec sans doute un peu de rancœur mais je m’en défais, et il ne reste à présent qu’un vrai vide que j’ai épousé et qui devient familier, somnolent, intime, amer et blasé, pareil que tous les autres, qui me colle à la peau et que j’enlace parce qu’il me convient, gris et maculé, que personne, même s’il le remplace, ne remplacera. C’est pour cela que je l’ai choisi, et non pas à défaut. Mon refus et ma fatigue sont valables pour l’un comme pour l’autre. J’ai eu un lapin gris en peluche, maintenant j’en ai gardé un bleu, j’ai même fini par le prendre dans les valises quand j’ai déménagé, je ne saurais expliquer pourquoi, je n’ai pas résolu à m’en séparer, c’est pour ça sans doute que cette vieille chanson m’a redonné des frissons, parce que j’en suis restée là ; après tout ce temps, c’est presque vrai. J’ai voulu arrêter mais je n’ai pas pu, j’ai voulu tomber, puis j’ai compris. Alors j’ai lu des livres à la place, j’ai regardé les gens faire pareil, j’ai juste secoué la tête dans un rictus d’horreur et d’ennui comme je continue à faire, comme un texte que je n’arrive pas à conclure, j’ai enlevé les photos du mur, mais les punaises me narguent. J’ai souri, couru dans des rues bondées, passé mes doigts dans le creux de la nuque, tué, décroché les téléphones, dévalé les escaliers en bois, je ne sais pas ce qui a suivi, j’ai oublié. Alors ce soir il me reste en tête ce foutu piano que je vois associé et qui à présent a un goût un peu amer et fade de rien du tout, un jeu que j’ai déjà oublié, puis cette chanson sur les mensonges qui m’a rejetée en arrière, et le reste des paroles que je fredonne. J’ai eu des papiers et des fouillis, j’ai des papiers et des fouillis une fois de plus, j’ai des tasses, des verres, des remords, des refus, des prospectus, des étagères, des télécommandes, des lampes et des chaises, j’ai des décisions que je tiendrai sans doute, et des phrases que n’arrive pas à finir. Je me désapprouve, je décide de tout effacer et de partir, mais un pied reste bloqué contre le seuil, c’est ce qu’on m’a toujours reproché, que je me reproche aussi souvent, je reste enlisée et immobile, je ne pars jamais la première, je joue mille jeux, auxquels je me laisse perdre parce que je décide que ce n’est plus un jeu, que je ne joue plus, qu’il n’y a pas de jeu, quel jeu ? Les jeux sont pour les imbéciles. Mais je perds quand même, je ne contrôle rien parce que je préfère écouter l’impulsion plutôt que de calculer l’inflexion vocale et la façon de marcher, même si je dis certaines choses et que j’en tais d’autres, même si fais attention quand même. Je me dis que je refuserai sans cesse, et puis je finis par envoyer tout au diable et me dire mille fois oui, et je me perdrai dedans, en me disant qu’au fond je pourrai toujours partir, je ne ris que de ce que je contrôle et ce dont je peux donner l’illusion, il y a mille faux-semblants sans doute que j’ai noyés, à quoi bon, et même si c’était le cas, au fond, c’est moi qui me trouverai pathétique, il y a longtemps que j’ai oublié de mettre un point à cette phrase, comme pour vous décourager. J’ai ébauché des milliers de paroles, j’ai trébuché contre des impressions, des envies, des doutes, je me suis vue et je me suis trouvée insensée et jetable, pas vraiment réelle. J’ai tutoyé dans des textes qui ne seront lus que par moi, j’ai soulevé les épaules et embrayé sur des plaisanteries, j’ai passé du temps à me déconstruire sciemment avant qu’on le fasse pour moi, je suis la première à le faire, allègrement et sans scrupule, parce que je me découds même quand je fais semblant. Je suis entre chien et loup, un chien de fusil assoupi sur un canapé pourpre et l’heure d’un un loup dans le jour qui finit par passer, et faire semblant qu’il n’a rien vu. Je vais retourner à mes mélodies et ferai comme si de rien n’était. Veuillez agréer, etc.
“idiote informe.”
(2010)