(archives) Ioannikios

C’était au début du mois de septembre. La chaleur était encore étouffante, l’été était passé trop vite, et je me retrouvais à faire des valises et à faire le décompte des dernières fois qui allaient arriver. C’était sûrement un dimanche, et j’étais dans le petit appartement exigu de Kypseli encore une fois. Quand je suis arrivée, il était déjà allé faire sa sieste. Je suis donc entrée dans cette petite pièce poussiéreuse, dans laquelle il y avait à peine de la place pour un grand lit et une commode en bois pleine de petits cadres et des boites à bijoux. J’ai fait craquer le plancher en entrant, et il a ouvert les yeux.  Il portait comme toujours son pyjama à carreaux bleus, et le gilet en laine par-dessus. Je me suis approchée, et je lui ai pris la main. Cette vieille main pleine de sillons. Oui c’est plus joli comme mot que de parler de rides. Il me regardait, et il souriait. Moi j’étais triste, ma gorge était serrée, je voulais parler mais je ne savais pas quoi dire, et je répétais bêtement les mêmes phrases. Que j’allais y aller, mais que je reviendrais à Noël, qu’on se reverrait. Et puis stupidement, j’ai commencé à pleurer. Je n’arrivais plus à m’arrêter, mes lèvres tremblaient, ma gorge me faisait mal, je serrais sa main, mais  je continuais à essayer de sourire quand même. Et lui souriait toujours aussi. Je n’arrivais pas à comprendre si il voyait que je pleurais et qu’il essayait de me rassurer en faisant comme si de rien n’était, ou s’il ne réalisait pas ce qui se passait. Ça lui arrivait ces derniers temps de perdre ses repères, il demandait l’heure qu’on était, la date. Il était tout maigre dans son pyjama de coton, ses pieds dans ces grandes pantoufles beiges. Je l’ai pris dans mes bras, puis je suis sortie pour le laisser se rendormir. Je reniflais comme une idiote. Plus tard j’ai fait mes valises, et avec mon père on a pris la voiture pour des journées de route, voir les rues d’Athènes s’effacer, très vite, les laisser derrière, regarder défiler des kilomètres et des kilomètres d’autoroutes.

Deux semaines après, la veille de mes dix-huit ans, il est mort. J’avais fait le décompte des dernières fois, mais je n’avais pas mis celle-là.

(2010)

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