J’ai vingt-cinq ans et mon shot de vodka violette offerte par le barman sent le jus de chaussette. Mon cadeau à minuit, c’était pouvoir fumer une cigarette avec ma meilleure amie à l’intérieur d’un Supra désormais non-fumeur, sous le regard curieux des tables à côté.
Il s’approche derrière moi, se faufile dans mon dos et m’enlace longuement, un joyeux anniversaire murmuré avec tendresse. Après toutes ces années, c’est encore dans ce vieux troquet de la rue du Bailli qu’on finit toujours pas se retrouver pour fêter ça. Tout a changé mais tout est pareil, la barbe de trois jours, les tables en bois, cette veste bleu marine que j’aimais tellement, même Luc qui nous offre des verres dans l’euphorie de l’ivresse. Au jeu des anciens amants, j’ai souvent perdu. Vendredi soir, j’en avais un stratégiquement placé, derrière le bar, un shot de vodka violette à la main. Bruxelles est une ville trop petite, mais c’est ce qui fait son charme, et ses nouvelles vont vite.
J’ai eu dix neuf, vingt et un, vingt deux, vingt trois ans, toujours autour de ces tables, j’ai vidé mon verre un nombre incalculable de fois, des litrons de kir violette éparpillés entre les banquettes avant et les sièges de la salle du fond. Aujourd’hui, seule la fumée de cigarette n’a plus le droit de rentrer. Et ceux qui se sont fait prendre une paille dans le nez dans les toilettes par un serveur consciencieux le même qui poursuivait les clients dans la rue avec un couteau à pain. Les vrais se souviendront. Depuis il est parti, mais les carbonnades flamandes sont revenues ; c’était une des meilleures nouvelles du mois de septembre.
Septembre deux mille onze, ses hauts ont brillé beaucoup plus et ont réussi à faire oublier les bas, je crains le contrecoup mais en attendant j’en profite, encore un peu s’il vous plaît, je dis merci et je suis sincère pour de vrai, avec les yeux. Pour mes vingt-cinq ans à minuit, j’avais juste demandé deux personnes et de la fumée. J’ai eu ce que je voulais. Le reste pour l’instant se résume à des pantalons trop grands, des yeux savamment rectangulaires, une épaule ré-encrée de fleurs du mal, des billets de train, d’avion, et ceux du métro pour rouler des cartons, des curriculum vitae et tout ce qui peut payer les factures, de la plante verte à la rédactrice web : tant que je n’ai pas à vendre mes meubles j’arrive à dormir la nuit. Je suis la reine de la procrastination cynique amère et je vole des élastiques à cheveux : j’avoue tout, mais rendez-moi mon chat.

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