Première publication : Metro Belgique – 7 octobre 2015.
Si l’humour est la politesse du désespoir, alors Paolo Sorrentino est le réalisateur le plus poli de toute l’Italie. Après les sublimes errances romaines de ‘La Grande Bellezza’, salué par l’Oscar du meilleur film étranger, le Napolitain a choisi les Alpes suisses comme décor de son nouvel opus, le très flegmatique ‘Youth’, présenté au dernier Festival de Cannes. On y croise Michael Caine en chef d’orchestre désabusé, Harvey Keitel en cinéaste têtu, Jane Fonda en muse acerbe, et même un sosie de Maradona…
Après ‘La Grande Bellezza’, vous revenez à ce thème du temps qui passe, qui semble vous être cher…
Je ne pense pas que ce film parle du temps qui passe, mais de l’avenir, de l’espoir. Le film dit que la jeunesse, c’est la liberté. Quand on arrive à regarder l’avenir avec espoir, on est libre. Et quand on est libre, on reste jeune, même si on a 80 ans.
Le fait d’avoir gagné un Oscar a-t-il changé votre façon à vous d’envisager l’avenir ?
Non. Du moins j’essaye que ce ne soit pas le cas. C’est important de ne pas se prendre la tête sur ce genre de choses.
Comment un réalisateur convainc Michael Caine et Harvey Keitel de tourner avec lui ?
C’était plutôt facile en fait : je leur ai envoyé le scénario, et ils m’ont dit qu’ils étaient partants.
Ils sont amis de longue date, mais Mick et Fred ont des personnalités radicalement opposées. Pourquoi ?
Parce qu’ils envisagent chacun l’avenir de manière différente. L’un avec espoir, et l’autre sans. Les gens passionnés, comme Mick, sont souvent victimes de leur propre passion. Et ceux, comme Fred, qui semblent plutôt détachés, peuvent parfois s’investir dans une passion sans même s’en rendre compte.
On devine qu’il y a de vous dans chacun d’eux, mais duquel vous sentez-vous le plus proche ?
Je me sens plus proche de Mick, hélas. Mais j’ai créé celui de Fred pour essayer d’être un peu plus comme lui.
Vous tournez en anglais avec des acteurs internationaux, comme ici ou dans ‘This Must Be The Place’ avec Sean Penn. Pensez-vous que vos films restent malgré tout empreints d’une certaine ‘italianité’ ?
Je ne sais pas s’ils ont une ‘italianité’, mais il y a sans doute toujours dans mon cinéma quelque chose qui me vient de ma ville de Naples, et qui est l’ironie. Michael Caine me disait d’ailleurs que c’est ce que les Napolitains et les Britanniques ont en commun : ce sens de l’humour ironique.
L’art est une façon pour certains de combattre la mort. Pour les personnages de ‘Youth’, cela semble plutôt être un fardeau… Et pour vous ?
Je pense que l’art est une façon de combattre l’ennui ou la vérité, mais pas la mort : c’est une bataille perdue d’avance !
Pourquoi avoir glissé dans le film un sosie de Maradona ?
Dans ce film, tout le monde se questionne sur l’avenir. Compte tenu de son passé glorieux, qui d’autre que Maradona est mieux placé ce genre de questionnement ?
C’est quelqu’un qui semble vous fasciner …
Oui, pour moi, Maradona, c’est la plus grande expression artistique moderne. Depuis gamin, j’ai beaucoup d’admiration pour lui, et je lui suis reconnaissant pour tout ce qu’il a apporté au monde du football. Artistiquement, j’aimerais pouvoir atteindre ne serait-ce qu’un 150ème de ce qu’il a fait.
Dans une scène, le personnage de Jane Fonda critique les cinéastes qui font de la télé. Pourtant, vous vous apprêtez à tourner ‘The Young Pope’, un téléfilm pour HBO avec Jude Law et Diane Keaton…
Avant, quand on travaillait pour la télé, en tant que réalisateur on avait l’impression de se trahir. Mais aujourd’hui, on a beaucoup plus de liberté, c’est pour ça que de nombreux cinéastes alternent entre les deux. Donc je pense qu’un téléfilm ou une série sont une opportunité supplémentaire d’explorer des choses nouvelles.
Votre travail est pourtant très esthétique, vraiment fait pour le grand écran. Pensez-vous qu’il peut s’adapter au petit ?
Oh, de nos jours dans les foyers, l’écran devient de plus en plus grand, donc j’espère que d’ici la fin du tournage tout le monde aura chez soi des écrans tellement énormes, que ça ne fera aucune différence (rires) !
Vous ne pensez pas plutôt qu’on regardera bientôt tout sur nos smartphones ?
C’est quelque chose dont on parle depuis des années, mais ce n’est pas encore arrivé, et peut-être que ça n’arrivera jamais. En tout cas je ne pense pas, parce qu’à mon avis, même quelqu’un qui n’a jamais été au cinéma de sa vie se rend vite compte qu’il y a une énorme différence entre regarder un film sur un petit ou sur un grand écran.
Pour finir, avez-vous peur de vieillir ?
Non. Du moment que je ne suis pas coincé dans un lit en train de souffrir, je n’ai pas peur.
YOUTH (LA GIOVINEZZA)
De Paolo Sorrentino. Avec Michael Caine, Harvey Keitel, Jane Fonda, Paul Dano… Durée : 1h58. Sortie Belgique : 7.10.2015
Après la mort, que deviennent les souvenirs ? Que reste-t-il de nos amours ? Combien de fois un homme de 80 ans va-t-il aux toilettes par jour ? Tels sont les questionnements qui ponctuent, entre mélancolie et malice, le nouvel opus de Paolo Sorrentino. Dans un hôtel de luxe au cœur des Alpes suisses, entre les vieux couples apathiques, les jeunes femmes de chambre et les escort girls esseulées, deux vieux amis parlent amour, musique et prostate. Fred (Michael Caine) est un ex-chef d’orchestre blasé coincé dans le passé, Mick (Harvey Keitel) est un cinéaste bourru obsédé par son prochain film. Avec le flegme et l’esthétique visuelle forte qui le caractérisent, le réalisateur de ‘La Grande Bellezza’ propose une réflexion douce-amère sur la jeunesse et l’avenir, rythmée par une bande sonore éclectique, qui va du classique à David Guetta. Et si sa mise en scène, plus ‘ramassée’, transmet moins de fougue que son opus précédent, la beauté et la force de sa mélancolie restent intactes. Notamment grâce à l’interprétation touchante de Michael Caine, à qui le cinéaste italien offre un de ses plus beaux rôles de ces dernières années.
Crédit photo : Paradiso Filmed Entertainment