‘Aquarius’ de Kleber Mendonça Filho : le cinéma comme résistance [interview]

Première publication : L’Avenir – 27 septembre 2016.

Superbe portrait de femme en lutte, ‘Aquarius’ est devenu malgré lui un symbole de résistance dans un pays en crise qui vient de perdre sa présidente.

Les souvenirs sont au centre du film brésilien ‘Aquarius’, qui débute par un flashback. Cet article fera donc de même. Mai 2016 :  tandis qu’au Brésil la tentative de destitution de la présidente Dilma Roussef secoue le pays, l’équipe du film, en compétition pour la Palme d’Or, monte les marches du festival de Cannes. Tenues de gala, sourires… quand soudain, sous l’œil surpris des caméras du monde entier, le réalisateur Kleber Mendonça Filho, son actrice Sonia Braga et leurs acolytes sortent de leurs poches des messages de contestation, rédigés à la hâte, contre cette destitution qu’ils considèrent comme un coup d’Etat.

Septembre 2016. Dilma Roussef a été officiellement remplacée par son rival, le conservateur Michel Temer. Et ce dernier est bien décidé à faire payer ‘Aquarius’ pour l’affront Cannois : fausses rumeurs, interdiction (absurde) du film aux mineurs, retrait de la course aux Oscars… Mais Filho et Braga, venus à Bruxelles présenter le film, n’en ont que faire : le film cartonne au Brésil, et s’est vendu dans 60 autres pays. Au lieu de le détruire, ces attaques l’ont renforcé. Le combat du personnage de Clara contre les magnats de l’immobilier de Recife est devenu une métaphore pour celui de Roussef, dans un pays régi par un gouvernement que de nombreux Brésiliens estiment illégitime. « C’est devenu comme une sorte de phénomène » explique le réalisateur, qui revient d’une série d’avant-premières au Brésil : « Les réactions étaient fantastiques. Le film n’est pas directement politique, mais avec la tournure qu’ont pris les événements, il l’est devenu. Je pense que c’est parce qu’il montre quelqu’un, une femme qui plus est, qui refuse de se taire, mais qui au contraire s’élève, et agit. »  Sonia Braga, inconnue chez nous mais superstar dans son pays, renchérit : « Ils ne veulent pas que ce film représente le Brésil (aux Oscars, NDLR) ? Mauvaise nouvelle : c’est trop tard ! Ce film représente le Brésil, et en tant qu’actrice, je représente le Brésil depuis 50 ans. Et si au Brésil les gens ne sont pas libres de parler, je le suis ! J’ai le sentiment qu’avec ce film, on relance un discours qui avait cessé dans le pays. Le film permet aux gens de parler de leur réalité, et montre comment on peut agir, en tant que citoyens, contre des forces qui ne nous représentent pas. Et OK, peut-être qu’on ne pourra pas les arrêter. Mais si on peut être, comme dit Clara, un petit caillou dans leur chaussure, une petite migraine dans leur tête… C’est déjà beaucoup ! »

Mensonges, censure et manipulations 

Alors que le film sort partout ailleurs avec la mention ‘tous publics’, au Brésil il s’est vu attribuer une interdiction aux mineurs, ce qui est habituellement réservé aux… films pornos. Une tentative claire de la part du gouvernement actuel pour détruire le film, explique Filho : « Le gouvernement a mis sur place un comité, dont un des membres, un journaliste, avait écrit qu’on avait probablement été payés par Dilma Roussef pour protester à Cannes… preuve qu’il ne comprend rien au principe de démocratie ! Au fond vous savez, je reconnais que Roussef n’était pas la meilleure présidente. Mais il faut savoir qu’elle était constamment sabotée par l’opposition, qui essaye de revenir au pouvoir depuis 2002, et qui, en gros, l’a accusée d’avoir fait un arrangement fiscal pour pourvoir la destituer. Une chose que tous les gouvernements précédents avaient fait avant, sans être inquiétés, ce qui est absurde. Pour comparer, c’est comme si je vous piquais votre stylo, et puis je vous accusais de l’avoir perdu ou volé… » L’interdiction du film aux mineurs provoque dans le pays une vague de réactions. « Grâce à cela, on a pu faire appel. On a prouvé, plan par plan, que le film n’était pas pornographique ! Alors ils ont mollement dit : ‘D’accord’. » Finalement, le jour de la sortie du film au Brésil, l’interdiction d’’Aquarius’ est abaissée aux… moins de 16 ans.

 

AQUARIUS

De Kleber Mendonça Filho, avec Sonia Braga, Irandhir Santos, Humberto Carrao … Durée : 2h25. Sortie Belgique : 28 septembre 2015

 

‘Aquarius’ c’est l’histoire de Clara, 65 ans, qui vit seule dans son appartement avec vue sur la mer, dans la ville brésilienne de Recife. Un appartement que des magnats de l’immobilier veulent lui racheter, pour moderniser le quartier. Mais avec la force de son âge et des souvenirs qui la lient à cet endroit, Clara résiste. Parce qu’il aborde subtilement des questions sociales et économiques, ‘Aquarius’ est un film intelligent, qui parle à la raison. Mais parce qu’il émeut grâce à sa mise en scène organique et fluide, et grâce à la force d’interprétation de son héroïne, ‘Aquarius’ est un film qui parle aussi au cœur. Une femme, une ville, un pays : un triple portrait sublime, et un des plus beaux films de l’année, injustement boudé à Cannes.

 

 

crédit photo : ATHENA FILMS

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