
Première Parution – Metro Belgique – 3 mai 2017
BERLIN – Encore mal représenté en Europe, le cinéma africain a pourtant beaucoup à raconter. La preuve avec ‘Félicité’, coproduction franco-belgo-germano-sénégalo-libanaise qui a gagné le Grand Prix au dernier Festival de Berlin : portrait d’une femme congolaise forte et fière, contrainte à demander de l’argent pour payer l’opération de son fils. Loin du film social, le Franco-Sénégalais Alain Gomis signe un film envoûtant, léger et grave, musical et onirique, qui nous a transportés.
Votre film raconte l’histoire d’une femme, Félicité, mais aussi l’histoire d’une ville. Pourquoi avoir choisi Kinshasa ?
Alain Gomis : « J’ai le sentiment que Kinshasa, c’est la ville d’aujourd’hui par excellence. J’ai l’impression que se posent là-bas les mêmes questions qui se posent à nous tous, sur notre société, sur nos rapports, mais de façon encore plus forte. Il y a un libéralisme « cru », sauvage. C’est aussi parce que les infrastructures sont fragiles, voire inexistantes, après la guerre, le colonialisme… C’est le même monde que le nôtre, mais sans maquillage. Ça permettait d’avoir des personnages dans des rapports directs, sans rien qui les protège, en quelque sorte. »
La forme du film est très intéressante, entre fiction et documentaire. Comment avez-vous dosé ces deux aspects ?
« L’idée était d’aller de plus en plus vers l’image brute. Je voulais que ma façon de filmer elle-même soit plus brute, pour que la beauté des gens et de la ville apparaisse le plus simplement possible. Comme si, à la fin du film, on y était préparés. C’est aussi le mouvement que fait Félicité : elle réussit à voir la beauté de ce qui l’entoure, alors qu’au départ elle lui est invisible. On part de la fiction, pour aller vers quelque chose de plus en plus simple. »
Vous filmez les acteurs de très près, et certains plans font penser à ‘Rosetta’. Les Dardenne ont-ils été une influence ?
« Non. Les frères Dardenne sont Belges et font du cinéma en Belgique. Je suis Français, Sénégalais, Bissao-Guinéen, et je filme à Kinshasa. Je respecte énormément le travail des frères Dardenne, mais je ne voulais pas faire un film sociologique. Je voulais raconter l’intérieur de quelqu’un, raconter ce que c’est de traverser cette aventure impossible qu’est la vie. Je ne voulais jamais qu’on sente un côté reportage. Quand tu acceptes que la caméra entre dans ta zone de sécurité – pas seulement pour être regardé mais pour partager -, des choses fortes peuvent se produire. Donc l’idée c’était d’essayer d’entrer dans ces espaces de sécurité de chacun. C’est pour ça que c’est filmé aussi près. »
Véro Tshanda Beya Mputu, qui incarne Félicité, n’est pas une actrice professionnelle. Comment l’avez-vous rencontrée ?
« Elle a vu une affiche, alors elle est venue au casting. Comme il y avait des acteurs un peu connus, elle s’est dit « c’est pas pour moi », et puis quelqu’un l’a persuadée d’y aller. J’ai tout de suite senti qu’elle avait un truc très fort. Je ne la voyais pas du tout comme ça Félicité au départ, mais Véro avait une telle force, qu’elle s’est approprié le personnage. Elle a fait un hold-up (rires) ! Elle m’a appris beaucoup de choses en tant que réalisateur. »
Le chemin de Félicité croise celui de Tabu, un personnage atypique…
« C’est un type extrêmement honnête et sincère, et sa sincérité finit par l’enfermer, parce qu’il se retrouve à être responsable alors qu’il ne l’a jamais été de sa vie. Je le trouve beau parce que je le trouve sincère, et assez proche de ce que je sens de nous, les hommes, dans ces sociétés. Félicité et lui questionnent ce qu’est être un homme, une femme, un couple. Comment faire un bout de chemin ensemble sans savoir comment tout ça va se passer ? »
La musique contribue beaucoup à la magie du film, entre la chorale de musique classique et groupes contemporains…
« Pour moi c’était naturel d’avoir Arvo Pärt ou Kasaï Allstars dans la musique du film. Kinshasa est une ville avec une tradition musicale très forte. Les membres de cette chorale, ce sont des gens qui travaillent tous les jours, qui sont menuisiers, chauffeurs… Et qui, le soir, vont jouer Haydn, Mozart ou Arvo Pärt. Ils ont un rapport simple, naturel, avec la musique. »
Dans le dossier de presse du film, vous dites que « ne pas être capable d’aimer sa vie est une des plus grandes formes de violence ». Le chemin de Félicité, c’est un chemin vers la… félicité. Le bonheur, est-ce un choix ?
« Non, je ne pense pas. Parfois vous devez tout perdre pour voir les choses simples. C’est ce qui arrive à Félicité : c’est une femme forte, mais déconnectée de la réalité, parce qu’elle est tout le temps dans le combat. Elle ne peut même pas se laisser aimer. En essayant de rester debout, elle s’abîme aussi. Quand la société, les médias autour de vous, vous disent tout le temps que la vie que vous vivez n’est pas la bonne… vous ne vous aimez pas. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas tout de choisir d’être heureux, il faut laisser le bonheur venir à vous. Et parfois c’est un long voyage. »
Votre film précédent ‘Aujourd’hui (Tey)’ était également en compétition au Festival de Berlin en 2012. Quel impact ont les festivals de cinéma sur le financement de vos films ?
« Pour ce genre de film, qui n’est pas, disons, d’une grande efficacité commerciale, être sélectionné dans un grand festival est quelque chose de très important. Dans nos sociétés, les choses qui n’ont pas de rapport commercial ont beaucoup de mal à exister. Les festivals, ou les fondations comme le World Cinema Fund ou le Centre du Cinéma, permettent de rééquilibrer un peu cette pression de l’industrie cinématographique. On doit se battre pour exister, donc on a besoin de ces structures. Donc je suis ravi de présenter le film ici. Le tournage était vraiment intense, donc je suis content d’avoir l’équipe avec moi. »
EN QUELQUES MOTS…
Tous les soirs, Félicité monte sur scène pour chanter. Sa voix se mélange au bruit des verres d’alcool et aux rires de la nuit. Mais Félicité ne rit pas. Derrière son visage fermé se dresse une femme forte et fière, indépendante. Mais le jour où son fils, victime d’un accident, se retrouve à l’hôpital, Félicité a besoin d’argent pour payer l’opération. Ravalant sa fierté, elle va devoir se tourner vers les autres… pour retrouver la joie. Quatrième long-métrage du Franco-Sénégalais Alain Gomis (‘Andalucia’), ‘Félicité’ est un voyage envoûtant, un double portrait : celui d’une femme, incarnée avec grâce par la débutante Véro Tshanda Beya Mputu, et d’une ville, Kinshasa. Porté par des acteurs non-professionnels, le film navigue entre réalisme et onirisme. Si Alain Gomis aborde les difficultés socio-économiques de la vie en RDC, on est loin du film social : le film est constellé de moments poétiques, où l’imaginaire fait irruption dans le réel. Un animal qui passe, une chorale qui chante… Interprétée par le groupe congolais Kasai Allstars (du label belge Crammed Discs), la musique est une part importante du film. Encore mal représenté en Europe, le cinéma africain a pourtant beaucoup à raconter. L’exploration de ce monde différent mais si proche de nous, est donc vivement
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