version intégrale – première parution : Metro Belgique – 28 mars 2018
Connu pour ses transformations physiques et son jeu plein de gravité, Christian Bale incarne dans Hostiles un capitaine de cavalerie qui a connu la guerre toute sa vie. Obligé de traverser les Etats-Unis avec un chef Cheyenne qu’il considère comme son pire ennemi, l’expédition lui apprendra à dépasser sa haine. On a papoté au téléphone avec l’acteur de ‘Batman’ à propos de cet anti-western au message puissant sur la vision de l’étranger.
Hostiles est votre seconde collaboration avec Scott Cooper après Out of The Furnace (Les Brasiers de la Colère en VF, NDLR). Un film dur et intense, et votre personnage, le Capitaine Blocker, l’est aussi. Comment avez-vous préparé ce rôle ?
Comme dans chaque rôle, connaitre l’histoire du personnage est pour moi fondamentale pour le préparer. Peu importe si le public la connait ou pas. Ça vous permet d’être toujours prêt s’il faut improviser – ce qui peut toujours arriver, aussi bon que soit un scénario. Donc avec Scott, on a entièrement construit son passé. C’est un homme qui a passé toute la vie au combat, d’abord dans la Guerre de Sécession, et ensuite lors des Guerres Indiennes. Il ne connaît que ça. Cette histoire, c’est sa tentative de retour vers l’humanité. Concrètement, il y a d’abord des choses pratiques à apprendre : comment se servir d’une arme tout en courant sur un cheval, comment travaillait un capitaine de cavalerie, les ordres, etc…
Vous avez dit en interview, et c’est vrai, que même si le film se passe en 1892, il résonne beaucoup avec l’époque actuelle. L’histoire d’un homme qui doit dépasser son racisme, sa bigoterie…
Oui, on a tourné le film avant les élections américaines et le Brexit, et… Eh bien, je ne pensais pas que tout ça arriverait (rires) ! Donc à la base c’est vraiment juste l’histoire qui me fascinait. Et puis en effet ça a été un choc de voir ce résultat, les discours de haine qui divisent le pays… Mais au fond ces discours ont toujours été là. C’est juste que soudain, quelqu’un a rendu ce discours acceptable à exprimer. Et je pense que c’est ce qui fait que les gens retournent toujours au western : c’est une ère très particulière dans la construction de l’Amérique. Sa violence, son aspect sauvage, résonnent avec l’histoire américaine de façon viscérale.
Dans le film ‘I am Not Your Negro’ il y a une phrase de Baldwin très forte à ce sujet : après avoir grandi en s’identifiant à John Wayne dans les westerns qui combat les indiens, il parle du choc que ce fut de découvrir que dans l’histoire, l’Indien, l’autre, c’est lui.
Oui, c’est fort. Je me souviens que dans ma jeunesse j’avais piqué un livre de James Baldwin à la bibliothèque de l’école (rires). C’est un grand écrivain.
En tant que Blanc, on est souvent moins sensible à ces questions de représentation car on n’y est pas confronté. Hostiles a ceci d’intéressant qu’il raconte aussi l’histoire du point de vue de l’Indien.
Oui, on ne voulait certainement pas faire un film de gentils contre les méchants. Et il y a eu des westerns qui s’écartent du style traditionnel. Mais oui, on ne voulait pas faire le western de papa.
D’ailleurs, je ne sais pas si vous saviez, mais le Congrès National des Indiens d’Amérique a loué le film pour sa représentation authentique des peuples autochtones…
Oui, c’est d’ailleurs une des raisons les plus importantes de faire ce film pour moi. Au départ quand Scott et moi avons décidé que le Capitaine devait parler Cheyenne, c’était surtout une décision pratique en termes de cinéma. Mais quand j’ai rencontré Chief Phillip, le chef des Cheyennes du Nord, venu pour m’apprendre la langue, j’ai été impressionné. C’est un homme incroyable. Et en fait au début, il a refusé…
Il ne voulait pas ?
Non (rires) ! C’était intéressant. Il m’a dit : ‘Pour pouvoir parler la langue, tu dois comprendre la culture d’abord’. C’était comme une sorte de mise à l’épreuve, mais dans un sens positif : on a eu des grandes conversations, où il m’a appris énormément de choses sur sa culture. Ça a beaucoup nourri le film, parce que ça m’a donné énormément d’idées que j’ai ensuite transmises à Scott. C’était vraiment une expérience considérable.
C’est vrai qu’apprendre une langue c’est apprendre une culture, une vision du monde. Avez-vous retenu certains mots ou expressions en Cheyenne ?
Quand je revois Chief Phillip, comme il m’a appris pas mal de mots, on échange un petit peu en Cheyenne. C’est une langue qui a un rythme particulier, très poétique. Et c’est exactement comme qu’il a dit : une fois que tu connais la culture, les mots viennent naturellement. Je faisais le vide dans ma tête quand j’entrais dans une scène, sans aucune idée de ce que j’allais dire… et à chaque fois, cette langue vient à toi. Sans prévenir, elle te rattrape. Je disais ma réplique, et pendant que je la disais, je ne savais pas d’où ça venait, mais ça semblait correct. Et ensuite je regardais Chief, et avait le pouce levé, genre « c’est bon » ! A chaque fois je m’attendais à ce qu’il dise : « c’était nul » (rires). Mais non, jamais. Donc oui, c’est une très belle langue, et le fait que nous soyons en train de perdre ces langues est une tragédie. Partout dans le monde, des langues disparaissent, tout le temps. Que peut-on faire ? Je ne sais pas… Qui va les apprendre, qui va les partager ? C’est la question de l’évolution, soit on s’éteint soit on combat. Ca fait partie de notre culture, de notre identité, et ce serait vraiment dommage de perdre ça. Mais c’était un grand honneur d’apprendre cette langue, et on a passé un très bon moment avec Chief Phillip. Il faisait des bénédictions tous les matins sur le plateau – et je ne sais pas si vous êtes déjà allée sur un plateau de tournage, c’est toujours le rush tout le temps ! Mais ici on arrêtait tout pour ces bénédictions. Et au début on voyait bien que les techniciens râlaient. Mais on faisait un grand cercle, il faisait une bénédiction… Et c’était incroyable de voir à quel point tout le monde en ressortait apaisé. On se sentait tous davantage liés les uns aux autres après. Je pense que ça a vraiment ajouté à l’âme du film, et de chacun.
C’est beau. Et ça fait partie des choses qu’on ne voit pas à l’écran, mais que peut-être, quelque part, on peut ressentir…
Eh bien, j’ai toujours pensé que c’est ce qui fait un bon film : quand on ressent qu’au-delà de l’écran, il y a tout un univers, et qu’on en voit seulement une petite partie.
Et parfois c’est plus important qu’un plan parfait ou des effets spéciaux nickel… Je préfère voir un film qui a des défauts mais qui est sincère, plutôt qu’un objet parfait, mais sans âme…
Je suis 100% d’accord. Cela dit, mon Dieu, les plans de ce film sont quand même magnifiques ! Masanobu Takayanagi, le directeur photo, est un maître absolu… Et en tant qu’acteur, le meilleur dans un film pour moi c’est découvrir des acteurs inconnus, jamais vus auparavant. C’est l’expérience ultime.
Parce que la ligne entre fiction et réalité est encore plus brouillée ? C’est quelque chose que vous essayez de reproduire aussi, dans votre façon de disparaître derrière chaque rôle…
Oui, j’espère en tout cas.
Êtes-vous conscient de l’image que vous renvoyez en tant qu’acteur ?
J’ai joué tellement de rôles différents, certains ont plu, d’autres pas, mais je ne sais pas, ça ne m’intéresse pas vraiment d’y penser. Ça vous empêche d’essayer des nouvelles choses. Quelle que soit l’image que les gens se font de moi… c’est la bonne. Tout me va (rires) !
Je pense que vous avez l’image d’un acteur sérieux, qui disparaît derrière ses rôles. Mais peut-être que je me trompe.
Eh bien… je ne répondrai pas (sourire).
Oui, c’est mieux comme ça. Merci !
Bye Elli, thanks very much.
Hostiles
La guerre, le capitaine Joseph Blocker (Christian Bale) la connaît bien : sur les champs de bataille, combattant les Indiens, il a vu le pire de l’être humain. Alors quand son supérieur lui confie la mission d’escorter le chef Cheyenne Wellow Hawk (Wes Studi) vers sa terre natale du Montana, sa première réaction est : pas question. Pour Blocker, ce sauvage est son ennemi. Mais parce qu’il connaît la langue Cheyenne et le chemin, il est forcé d’accepter. Sur leur route, ces deux hommes qui se détestent mutuellement devront faire preuve de solidarité face à un ennemi commun : les Comanches, qui détruisent tout sur leur passage. Ils croiseront aussi Rosalie (Rosamund Pike), seule survivante d’une de ces attaques, où elle a perdu sa famille. Avec voyage superbement filmé, Scott Cooper (‘Black Mass’) signe un anti-film de cowboys puissant, qui questionne notre rapport à l’étranger. L’histoire des hommes s’est construite sur des rapports dominants-dominés, avec le racisme comme prétexte pour ‘civiliser’. Mais entre celui qui brandit une hache et celui qui tire au pistolet, qui est le civilisé ?