Faits minimes

Ça a commencé quand j’avais treize ou quatorze ans

Le monde autour de moi a changé

C’est un regard, un commentaire ou un sifflement

alors que tu marches tranquillement

Au début tu penses que ce n’est pas adressé à toi

Qu’il y a quelqu’un derrière 

Et puis ça devient le lot quotidien

un truc qu’il faut juste accepter

Je me souviens de ma colère 

face à tous ces gars qui se mettaient en travers de ma journée

L’incompréhension face à l’aisance avec laquelle ils se le permettaient

Les stratégies échafaudées entre copines pour les éviter

le coup du téléphone ou celui des les clés

Noter la plaque du taxi quand la copine s’en va

Le regard baissé, les écouteurs, lunettes de soleil, pas pressé, 

Devoir se fermer au monde pour exister

J’ai 15 ans

Un jour je remonte la rue

Je suis presque arrivée chez moi

Un mec à moto passe dans mon dos

le temps que je comprenne ce qui s’est passé

sa main passée entre mes fesses, tout en bas

il roule déjà sur loin sur le boulevard

Je m’arrête, hébétée, choquée

La colère monte après

J’ai envie que ce mec meure

que sa famille meure dans un feu

qu’ils souffrent longtemps

je vois les flammes, j’ai envie de hurler

Aujourd’hui j’ai trente ans  

Le corps aux aguets

Et ça arrive dix fois moins qu’avant

Je pense à toutes ces filles pour qui c’est en train de commencer.

Je me souviens avoir dit petite

que les maths, ce ne serait pas un truc pour moi

Ni le sens de l’orientation

Ni la géo, ni la science, ni le foot

C’est comme ça

Adolescente j’achetais des rasoirs pour hommes parce que les roses coûtaient plus cher

En étant absolument persuadée

qu’il vaut mieux crever que d’être repérée avec un poil sur la jambe ou sous le bras

On avait la honte d’avoir nos règles, que ça se sache

On avait perfectionné

la technique de la serviette hygiénique planquée

dans la manche pendant le cours pour que personne ne la voie

Les chuchotements pour se prêter un tampon en secret

Personne ne dit jamais à mon frère de faire la vaisselle

L’inégalité face au cul 

Qui baise et qui se fait baiser

Si t’as trop envie t’es une pute

Si t’as pas envie t’as un problème

Donc ne t’étonne pas de te faire tromper

C’est comme la minijupe dans la rue le soir

Faut pas s’étonner après

Mais faut sourire quand même quand on te dit que t’es jolie

Parce que c’est un compliment

Et que tu devrais toujours être contente de l’entendre,

Partout, tout le temps.

.

J’ai compris que j’étais féministe 

Le jour où j’ai relié tous ces traits

Tous ces petits nœuds

Ces petites colères, ces cailloux dans la chaussure 

Ces anomalies de parcours que je ne m’expliquais pas

Des évidences qui ne l’étaient pas

Des choses qui allaient de soi

mais en fait qui ne vont pas du tout

J’ai compris que j’étais féministe quand j’ai vu

qu’il y avait un lien entre tout ça

Tous ces petits problèmes

Des fils invisibles qui mis ensemble font système

Je suis devenue féministe quand j’ai réalisé

Qu’il n’y a pas de hasard, de coïncidence, d’accident isolé

Que la violence n’est pas une exception à la règle

mais que la règle, en fait c’est ça

J’ai compris que j’étais féministe quand j’ai vu

Que la normalité n’est pas celle qu’on m’avait racontée.

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