Le Mélange des genres de Michel Leclerc : « Le mélange est une idée fondamentalement de gauche »

Rencontré au Festival de Mons où son film faisait la clôture en mars dernier, j’en ai profité pour dire à Michel Leclerc tout mon amour pour Le Nom des gens, et en tant que militante féministe, l’inviter à discuter autour de son nouveau film dont c’est précisément le sujet. On a échangé sur la différence entre rire avec et se moquer, et aussi sur une question qui me taraude : pourquoi c’est toujours les comédies de droite qui cartonnent au cinéma ?

La Critique

Quand Paul, homme au foyer doux et gentil, est accusé de viol, son monde s’effondre. Derrière cette (fausse) accusation se cache Simone, une policière infiltrée chez Les Hardies, un groupe féministe qu’elle essaye de démanteler, les soupçonnant de complicité dans le meurtre d’un conjoint violent. Mais si elle s’ouvre peu à peu à leurs idées, le groupe la soupçonne, alors Simone invente ce mensonge pour détourner l’attention. Mais quand l’information fuite, Paul devient une cible des Harpies… Après l’école publique (La Lutte des classes) ou les médias (Télé Gaucho), Michel Leclerc, cinéaste populaire de gauche, se saisit d’une autre lutte : le féminisme. Si le sujet est casse-gueule, le résultat est une satire bienveillante, par un homme dépassé mais solidaire, qui taquine plus qu’elle ne moque. Face à Benjamin Lavernhe, impeccable en anti-macho maladroit, Léa Drucker excelle en policière conservatrice forcée à se remettre en question. Réflexion politique, comique de situation, pagaille et poésie (avec les mélodies de Vincent Delerm) : un mélange des genres cohérent avec ce côté « foutraque » qui caractérise le cinéma de Leclerc, et qui est à la fois son atout et sa faiblesse par endroits. Si tout le monde en prend gentiment pour son grade, hommes compris (la scène avec le sosie de Virginie Despentes est notamment une des plus réussies), les conclusions du film sont au bon endroit : celui de la coexistence apaisée. Mais pas avec n’importe qui. « Je préfère avoir tort avec elles (les féministes NDLR) que raison avec vous » dit Paul à des « mascus » remontés. Bien résumé. EM

Sortie Belgique : 23/04/2025 – Sortie France : 16/04/2025 – Sortie Grèce : TBC

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Rencontre avec Michel Leclerc

Fausses accusations, féminisme, police : Le Mélange des genres aborde des sujets sensibles. Vous n’avez pas peur de vous faire « cancel » ?

Pas vraiment, non ! Je pense que les gens savent faire la différence entre une fiction et la vraie vie. Et en fiction on a le droit, même le devoir, d’être un peu imprudent, pour créer le débat. Ces sujets, je le sais pertinemment, vont faire débat. Mais il faut être de mauvaise foi pour me mettre dans le camp des masculinistes !

Pas quand on connait votre travail, et votre sensibilité à ces sujets. Mais aujourd’hui sur internet, les jugements vont vite.

Bien sûr, sur les réseaux sociaux je vois bien les commentaires sous la bande-annonce de gens qui n’ont pas vu le film. La moitié dit « Encore un film de gaucho de merde » Et l’autre moitié « Encore un film de machos » (rire) ! Je ne peux pas empêcher les gens de dire ce qu’ils veulent, mais d’une certaine manière j’ai vraiment envie que le film se suffise à lui-même. Après la projection, j’ai plein de gens qui comme vous, viennent me voir soulagés, car ils ont eu peur en voyant la bande-annonce… voir le film en entier a changé leur point de vue. C’est logique en même temps, on ne peut pas dire en une minute trente ce qu’on essaye de dire en une heure quarante-cinq. Surtout sur un sujet aussi inflammable, la nuance est importante.

« Not all men but a lot quand même »

En tant que féministe radicale, je ne vais pas aborder de la même manière certains sujets avec mes amies militantes ou avec mon père. On ne regardera pas forcément les mêmes films, non plus. Mais l’important est de pouvoir échanger – et c’est ce que le film raconte. Sauf avec les personnes avec qui ce n’est pas possible d’échanger, comme les masculinistes ou les fachos.

Oui c’est sûr. Il n’est intéressant de discuter qu’avec des gens dont il est éventuellement possible de faire changer d’avis à un endroit ! Avec les gens qui de toute façon ont des idées arrêtées, il n’y a pas de possibilité de dialogue. Ça pour moi c’est important. Si le film dit une chose, c’est celle-là. Le dialogue est possible entre personnes de bonne volonté, qui ont envie de progresser dans les rapports entre eux. 

quand on est militant, il y a des moments où il faut de la radicalité

Si je me fais l’avocate du diable, je dirais qu’on reproche aussi aux féministes cette impossibilité de dialogue, et un certain extrémisme. Mais votre film ne tombe pas dans l’écueil de renvoyer les deux ‘extrêmes’ sur le même plan.

Être militant, c’est une chose. Moi je suis cinéaste, pas militant. Mais quand on est militant, il y a des moments où il faut de la radicalité. On ne peut pas avancer sans être radical, pour exiger des choses importantes – ça cause éventuellement quelques dégâts, mais je trouve que c’est naturel. Moi je suis cinéaste, je veux faire un film qui d’abord plaise aux spectateurs qui le regardent, et ensuite qui ouvre le débat. Donc ce n’est pas tout à fait la même position. Il y a des cinéastes militants, mais moi je ne suis pas vraiment à cet endroit-là. Je peux décrire des militant-es, d’ailleurs je le fais à plusieurs reprises dans mes films ; je suis passionné par la chose politique et tout ce qui traverse la société dans ce qui est du domaine des idées. Je propose ça au public, et c’est à chacun de s’en saisir. Mais ce n’est pas un acte militant – ce qui n’empêche que je respecte infiniment les militant-es. Des fois il faut mener des combats en arrêtant d’être dans la nuance et le coupage de cheveux en quatre !

Et puis il y a rire avec, et rire de. Votre film fait la différence entre les deux.

Se moquer, c’est la loi de la comédie, forcément on exagère certains traits, mais ça n’empêche pas l’affection – comme dans la vie, on peut se moquer de nos proches, ça n’ôte pas tout notre amour. C’était important pour moi qu’on s’attache aux militantes féministes du film, qu’elles soient sincères dans ce qu’elles font. Je ne fais pas des comédies cyniques. 

Quand une salle rit, c’est déjà un lien

Léa l’infiltrée et Melha la maladroite

Pour l’écriture du scénario, et notamment pour l’aspect militant, avez-vous collaboré avec des associations féministes ? Ou avec la scénariste et réalisatrice Baya Kasmi, qui est aussi votre partenaire dans la vie ?

J’ai rencontré deux militantes à des moments différents de la fabrication du film, oui. Mais ces questions aujourd’hui, elles traversent la société : justement vous parlez de Baya, moi au quotidien je fréquente des féministes, des personnes qui sont au cœur de ces questions – et en premier ma fille (rire). Ici, mon intention n’était pas de réaliser un film documentaire sur ce que c’est d’être militante, mais plutôt sur mon ressenti d’un environnement qu’il se trouve que je connais quand même très bien. Donc c’était assez simple, finalement je crois, d’être juste sur toutes ces idées, parce que, comme beaucoup de gens aujourd’hui je pense, y compris dans le milieu du cinéma, c’est un sujet dont on parle beaucoup. C’est pas comme si je faisais un film sur un milieu qui m’était complètement étranger.

Le personnage de Paul se trouve en porte-à-faux face aux injonctions à la virilité, ces idées de masculinité « forte ». Son épouse travaille, c’est lui qui s’occupe des enfants, et en tant qu’homme au foyer, il comprend ce ce que les femmes vivent en majorité. J’ai des amis hommes qui ressemblent à Paul, et qui ont pu se sentir vexés, heurtés d’être « jetés dans le même sac » par les féministes. C’est le fameux « pas tous les hommes« … Je leur dis, mais justement du coup tu devrais être féministe : vu que tu perçois aussi ces choses-là, rejoins nous !

Avec Baya, on a eu énormément ce débat-là. Quand il m’arrivait de lui dire que je ressens un malaise par rapport à ce qui se passe, même par rapport à tout ce qui est MeToo dans le cinéma… Elle me disait ben pourquoi, tu devrais plutôt être avec nous, nous comprendre… Ca a été au cœur du déclenchement du film. C’est parti d’une observation faite à moi-même, de me dire, c’est vrai, elle a raison en fait, pourquoi je ne parle pas ? Alors je me suis dit bon, je vais essayer d’en faire un film, pour essayer d’exprimer ce que je peux ressentir d’un mouvement comme celui-là.

La question de la légitimité est d’ailleurs au cœur du débat féministe. D’un côté c’est important de (re)donner parole aux femmes, et aux personnes concernées par ces questions. Mais de l’autre côté, c’est nécessaire aussi que les mecs s’emparent de ces sujets avec nous…

C’est ça. Lors d’une projection, une jeune spectatrice m’a dit : « C’est dommage que ce film ait été fait par un homme (rire) ». 

Quels autres retours avez-vous des spectateurs ?

Certains m’ont dit trouver le personnage de Paul ‘trop faible’, or il n’est pas faible du tout, il est doux. Un jeune spectateur m’a reproché d’être trop gentil avec les flics, et une autre d’être trop dur avec eux (rires). Je suis content que chacun puisse y voir ce qu’il veut. J’ai toujours essayé à travers mes films de créer du dialogue, et parfois via la comédie, c’est plus facile de passer un message. Quand une salle rit, c’est déjà un lien. Alors que dans une salle, il y a plein d’opinions différentes, sur différents sujets. 

De mon point de vue aussi, le film est trop gentil avec les flics (rire) mais j’essaye, en tant que critique mais aussi en tant que spectatrice, de prendre les films comme ils sont. Je sais que j’ai un point de vue radical sur certains sujets, que tous n’auront pas. Et si je veux des films plus radicaux, je sais qu’ils existent, dans d’autres espaces.

j’ai l’impression que les comédies les plus populaires sont souvent de droite.

Homme au foyer, c’est une bonne situation ?

Le Nom des Gens, La Lutte des classes, Télé Gaucho… Vos films questionnent joyeusement les luttes sociales avec des acteurs populaires. On pourrait les désigner comme des « comédies françaises de gauche ». Or j’ai l’impression que c’est surtout les comédies françaises de droite qui ont du succès au box-office…

Je suis complètement d’accord avec vous, j’en parle souvent parce que c’est quelque chose qui me frappe. En tant que cinéaste de gauche, j’essaye dans mes films de toucher toutes les couches de la population. C’est important de pouvoir s’adresser à tout le monde, que peu importe le milieu ou le bagage culturel, on puisse y trouver son compte. Ce film s’appelle Le Mélange des genres, et le mélange est pour moi une idée fondamentalement de gauche. Je trouve que c’est donc assez cohérent de l’intégrer à l’intérieur même de la matière du film : c’est une comédie qui est à la fois un film politique, il y a du burlesque et du comique de situation… Mais effectivement j’ai comme vous l’impression que les comédies les plus populaires sont souvent de droite. Je me pose souvent la question du pourquoi. 

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Quels autres exemples de « comédies de gauche » pouvez-vous citer dans le paysage audiovisuel français ? Hormis Baya Kasmi bien sûr : Je suis à vous tout de suite, Youssef Salem a du succès

Évidemment avec Baya, pour le coup s’il y a quelque chose qui nous lie, c’est cette idée de la culture populaire. J’ai un exemple qui me vient en tête, il ne fait pas des comédies, mais par exemple quelqu’un comme Robert Guédiguian (Marius et Jeannette, L’armée du crime, Les Neiges du Kilimandjaro…) a toujours eu à cœur à faire un cinéma à la fois de gauche, et qui peut toucher toutes les couches de la population, parce que ce sont des histoires assez simples, avec un langage assez simple. Sinon, Carine Tardieu (L’attachement, Ôtez moi d’un doute, Du vent dans mes mollets) est quelqu’un que j’aime beaucoupEnsuite, dans une certaine mesure, il y a quand même Toledano et Nakache : Le sens de la fête est un film très intéressant sur lutte des classes, même si c’est pas tout à fait le sujet.

Mais s’il y a une référence première, c’est évidemment Bacri et Jaoui…

Évidemment, qui sont nos modèles. Un film comme Le gout des autres, le titre dit tout, ça questionne qui est snob, qui ne l’est pas… Et ça parle à tout le monde.

Vous avez tourné avec Jean-Pierre Bacri dans La Vie très privée de Monsieur Sim (2015), quel souvenir en gardez-vous ?

Un souvenir inoubliable. J’en parle tout le temps, je le garde précieusement au chaud, d’autant plus qu’on s’est très bien entendus, et après le tournage on est restés assez proches, on se voyait assez souvent. Et puis Baya a tourné avec Agnès dans Je suis à vous tout de suite, donc on les a pas mal côtoyés. D’ailleurs je sais qu’Agnès prépare film qui parle aussi de ces questions-là…  

Je garde aussi un souvenir précieux de la fois où je les ai rencontrés, et quand Bacri est décédé j’ai été très triste. Agnès Jaoui a tourné d’ailleurs avec Blandine Lenoir dans Aurore, qu’on pourrait classer aussi dans les comédies de gauche

Je pense que le film aura de bonnes critiques, mais je sais que beaucoup de journaux de gauche, dont Libération, n’aiment pas le film.

Mais est-ce que Libé est encore un journal de gauche, c’est ça la vraie question. Personnellement j’ai arrêté de lire leurs pages cinéma en 2016 quand ils ont mis zéro à I, Daniel Blake de Ken Loach.

Ca dépend quelles sections. Mais c’est vrai que dans les pages cinéma, les critiques veulent que tous les éléments du film aillent dans le même sens, comme un objet fermé. Ils détestent quand un film a l’air de mélanger des choses. 

Hardies ou harpies ?

Avant de se quitter, un mot sur le travail avec vos comédiens, Benjamin Lavernhe, Léa Drucker, Judith Chemla et les autres ?

Déjà, c’est pas une formule, c’est absolument vrai : ça a été le tournage le plus harmonieux que j’ai jamais fait. J’ai travaillé avec des comédiens qui ne sont pas du tout dans les histoires d’ego. J’appréhendais aussi, avec le sujet du film, d’avoir des longues discussions sur le plateau mais pas du tout, à partir du moment où ils ont accepté de faire le film sur le scénario, tout le monde était au diapason. Avec Judith Chemla on a étoffé la dimension militante, elle voulait faire attention que certaines choses soient dites, comme le fait que seulement 2% des accusations de viol sont des mensonges. C’était important aussi de montrer que Les Hardies ont aussi une dimension sociale importante, comme la scène où elle reçoit une femme victime de violence conjugale. Avec Benjamin Lavernhe, on a travaillé beaucoup la dimension ‘Pierre Richardesque’ du personnage, sa silhouette un peu maladroite : même quand il s’assied, il est drôle et émouvant ! Léa Drucker est une comédienne fine et nuancée, elle a une force de proposition énorme, donc c’était formidable de faire une comédie avec elle. Tout comme Melha Bedia, qui a une capacité de comédie phénoménale, mais qui est aussi d’une grande sensibilité.

Visuels (c) Stéphanie Branchu / Le Pacte / Athena Films


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