Il y a un an, je parlais de ça.
Mes jambes sont moites, mes mains fiévreuses cherchent le briquet. Je ne sais pas par où commencer. Un an après, on le savait ; tout est pire, évidemment.
Le pays sent toujours aussi mauvais, il semble plongé dans un mutisme résigné et maussade. Les centres commerciaux sont vides, et dans les ruelles étroites du centre ville comme dans ses grandes avenues, une boutique sur deux a ses vitrines couvertes par du papier journal usé. Les autres, ceux qui restent, sont en période de soldes permante, démarquages et réductions sur toutes les devantures. Sur celle d’un bureau de jeux de hasard, un slogan annonce fièrement : “ ΛΕΦΤΑ ΥΠΑΡΧΟΥΝ (De l’argent, y en a) ! ” . Je me demande bien où. Plus de cadeaux, plus de bonus, plus d’embauches. Plus de factures, de nouvelles taxes, de restrictions, de grèves. Le prix du café a fondu, sur place où à emporter, à partir de 70 centimes, il est partout. Sur la chaîne Alter, plus d’émissions, plus de présentateurs : las d’être impayés, les employés de la chaîne en grève diffusent en boucle leurs revendications et leurs accusations. Il paraît que maintenant à Athènes, il faut faire gaffe : à son portefeuille dans le bus, à sa carte à la banque, à ses clefs et à sa serrure : cambriolages, agressions font légion, j’ai passé deux semaines avec une pochette et dedans le strict minimum. Plus bas dans ma rue, l’Ecole polytechnique. Symbole historique de la victoire de la jeunesse universitaire sur la dictature des colonels en 1973, aujourd’hui repaire majeur de dealers de came, toujous aussi désagréable de passer sur ce morceau de trottoir ou de jour comme de nuit des squelettes soliloquants se piquent en toute (aucune) discrétion. Deux rues plus haut, flanqués aux quatre coins du ministère de la culture, des jeunes homme en uniforme militaire. Deux zones mutuellement exclusives manifestement, qui vivent dans une coexistence pacifique aberrante. CRS et cafés branchés se côtoient ainsi dans le centre-ville, les premiers pullulant autant que les autres : comme dit le dicton grec, “la pauvreté a besoin de divertissement” (traduction difficile de η φτώχια θέλει καλοπέραση ») ; De jour comme de nuit, les bars étouffent de monde qui boit (pour oublier ?) qui vit avec excès, comme les grecs savent, amassés autour de tables étroites le long des ruelles sombres, de Psirri à Kolonaki. Le rakomelo colle au bout des doigts, le chanteur ringard à la radio s’époumone de plus belle, douze mecs passent avec des DVD piratés, des fleurs en plastique, des chapeaux qui clignotent, des beignets au sésame, le taxi sur le retour écoute une émission de foot à s’étrangler d’ennui et dévale les ruelles comme un cinglé. Je ne me sens plus dans le coup, j’ai oublié le nom des rues, dans quel bar branché il faut sortir, combien coûte un cocktail. Ma langue fourche et mon cerveau bloque pour aligner les mots – je dis que je vis à l’étranger, et on me répond que j’ai bien de la chance. Je suis frustrée de perdre mon vocabulaire, jurer en grec c’est ce que je préfère. Athènes a changé, elle a pris des rides, elle suinte le désespoir et l’envie d’oublier. Mais Athènes reste belle même quand elle est laide, dans ses trottoirs cassés quand ils existent encore, dans ses bougainvilliers qui pendent hors des grillages, dans ses chiens errants qui dorment sur le seuil des boutiques, dans ses pentes infernales mais du haut desquelles on voit tout le ciment triste et les éternels stores banne verts foncé qui s’alignent à perte de vue.
J’ai plein de choses à dire que je n’arrive pas à aligner. Pour une fois c’est en grec que j’aurais dû écrire. Γαμώτο.
(2012)
