Palme d’Or à ‘Amour’ : On ne badine pas avec Michael Haneke [interview]

Première publication : L’Avenir,  24 octobre 2012. 

On l’adore ou on le déteste, mais une chose est certaine : Michael Haneke est un réalisateur dont les films laissent rarement le spectateur indemne.

Et pour cause, ce cinéaste autrichien a l’art d’appuyer là où ça dérange. De l’intrus qui pénètre le foyer via l’écran de télévision (Benny’s video, Caché) aux enfants au comportement inquiétant (Le Ruban Blanc) quand il ne s’agit pas carrément d’un jeu de massacre (Funny Games), ses films dépeignent avec une froideur clinique cette inquiétante étrangeté qui fait brusquement irruption dans un quotidien d’apparence anodin.

Un cinéma du malaise que le réalisateur revendique lui-même : «On se sent à l’aise uniquement quand tout est en ordre. Quand tout n’est pas en ordre, on se sent au contraire déstabilisé, mal à l’aise. Les livres et les films qui m’ont influencé m’ont déstabilisé : si on me raconte que des choses que je sais déjà, je me sens à l’aise, mais je l’oublie aussi, ça ne me fait pas avancer. Les choses qui me déstabilisent me mettent dans une situation contre laquelle je dois me défendre. C’est un peu le but quand on fait du cinéma : forcer le spectateur à se défendre, ou trouver ses propres solutions.»

Des prénoms qui se répètent

Son dernier opus n’échappe pas à la règle. Un conseil, évitez de prévoir des rendez-vous importants après la séance : Amour est un film auquel il est difficile de rester insensible. Mais loin de la violence sanglante de Funny Games ou des perversions sadomasochistes d’une Pianiste, ici il s’agit d’une histoire poignante en huis clos qui déstabilise le spectateur par l’émotion. Le titre présage à lui seul de cette immersion dans un thème aussi intemporel qu’universel.

À travers ce couple, c’est l’humain devant l’écran qu’Haneke cherche à toucher, déranger, émouvoir. Les héros s’appellent Georges et Anne, mais ils auraient pu être anonymes que cela aurait eu peu d’importance. Les personnages de Haneke portent d’ailleurs souvent ces mêmes prénoms, mais d’après ses dires, cette récurrence relève plus d’une solution pratique que d’une symbolique particulière. Malgré une méthode de travail rigoureuse, ce septuagénaire a fait une arrivée relativement tardive dans le milieu du cinéma, à l’âge de 46 ans.

Pourtant Haneke a baigné dans le milieu du cinéma dès sa plus tendre enfance. Né d’un père metteur en scène et d’une mère actrice, il avoue avoir voulu être tour à tour acteur puis pianiste avant de se tourner vers des études de psychologie et de philosophie à l’Université de Vienne. Mais c’est par le biais de la télévision que Michael Haneke en viendra à réaliser son premier long-métrage. Un retard pas complètement dû au hasard : «Le cinéma a toujours été pour moi une forme d’art. J’ai eu l’impression, au début, de ne pas savoir trouver mon propre langage. Je ne voulais pas faire un film comme un million d’autres, et avec ce film (NDLR : Le Septième Continent), qui était différent des films que j’avais réalisés pour la télé […], j’ai eu l’impression que c’était le moment de saisir l’occasion, et de faire mon premier film au cinéma ».

Initialement prévu comme un téléfilm, Le Septième Continent possède déjà en 1989 la rigueur esthétique et cette volonté de perturber qui lui vaudront vingt ans plus tard une jolie paire de Palmes d’Or. Un langage qu’il a su perfectionner et qui est devenu sa marque de fabrique. Salué partout depuis son succès cannois, Amour ne fait pas exception : c’est un film qui va droit au cœur. Même quand il le fait souffrir.

 

AMOUR

De Michael Haneke, Avec Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva. Durée : 2 h 07. Sortie Belgique : 24 octobre 2012

Quand le corps s’affaiblit et que l’esprit se dégrade, qu’est-ce qui reste? Georges (Jean-Louis Trintignant) et Anne (Emmanuelle Riva) sont deux octogénaires vivant une existence paisible de musiciens retraités dans leur appartement parisien. Un quotidien qui va brusquement être mis à rude épreuve quand un beau matin, dans leur cuisine, Anne va être victime d’une attaque cérébrale. À partir de là, il faudra beaucoup d’amour mais aussi de courage, à Georges comme au spectateur (prière de se munir de kleenex), pour arriver jusqu’à la fin.

Amour. Son titre est intrigant de simplicité, mais en sortant de la salle, il semble évident que ce film n’aurait pu s’appeler autrement. Haneke nous livre sa version personnelle de cet élan du cœur qui fait couler tant d’encre et de larmes depuis la création de l’Humanité. Ici, point de pétales de roses dans le bouquet d’un prince charmant, pas de robe blanche devant monsieur le Maire, pas de serments passionnés. Amour est l’histoire de ce dévouement, simple et résigné comme des noces de diamant, avec lequel on essuie le front de son compagnon souffrant. Avec lequel on lui donne la becquée et change ses couches sales sans ciller.

Le dernier film de Trintignant s’appelait Ceux qui m’aiment prendront le train ; Emmanuelle Riva fut l’héroïne d’Hiroshima mon amour : hasard ou coïncidence, leurs prestations n’en sont pas moins bouleversantes. Le jury de Cannes ne s’y est pas trompé. Après Le Ruban Blanc en 2009, ce film fait entrer Haneke dans le club très fermé des réalisateurs doublement palmés (avec Emir Kusturica ou encore Francis Ford Coppola). Mais c’est pour ce qu’il bouscule à l’intérieur qu’Amour est définitivement un film à part.

 

 

crédit photo : Cinéart / Reporters / Capital Pictures

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