Première publication : L’Avenir – 23 avril 2013 (interview) & 24 avril 2013 (critique).
Alors que « L’Écume des jours » de Michel Gondry sort mercredi dans nos salles, Audrey Tautou raconte le doux désordre qu’en fut le tournage.
Sa petite main gracile s’avance pour serrer la vôtre, et d’un ton enjoué, elle s’excuse pour son retard tout en nous servant un verre d’eau. Malgré une carrière impressionnante truffée de rôles aussi mémorables qu’Amélie Poulain ou Gabrielle Chanel, Audrey Tautou n’a rien perdu de sa simplicité. Installée dans son fauteuil dans cette chambre raffinée de l’hôtel Manos Premier, à quelques pas de l’avenue Louise, celle qui incarne Chloé dans l’adaptation très attendue du roman de Boris Vian a l’art de mettre à l’aise son interlocuteur tout en restant en contrôle de son image : pas de problème pour poser face au photographe venu pour l’occasion, mais pas question de publier le cliché qui lui ferait une « tronche de cake» (sic)! Avec ses yeux noisette qui vous scrutent quand elle répond et son débit mesuré, la comédienne prend le temps de trouver les mots justes, se ravise, réfléchit, loin de tout automatisme qui pourrait laisser croire que nous sommes la dixième journaliste qu’elle rencontre en cette longue journée de promo… et pourtant! À l’occasion de son passage bruxellois, celle qui sera la maîtresse de cérémonie du prochain Festival de Cannes le 15 mai prochain aborde avec nous l’expérience d’un rôle unique, et d’un tournage empreint du génie farfelu de son réalisateur.
Avez-vous abordé le personnage de Chloé de la même manière que vos autres rôles ? Avez-vous une façon similaire de travailler pour chaque film ?
Oui, j’aborde mes personnages en général de la même façon. Surtout quand j’ai travaillé avec Claude (NDLR : Miller, pour Thérèse Desqueyroux), j’avais beaucoup préparé le personnage de Thérèse, et cela m’avait apporté beaucoup de liberté pendant le tournage. Et puis c’est vrai que j’aime bien préciser l’évolution d’un personnage par des petits détails, que l’on ne voit pas forcément à l’image, mais qui m’aident à construire la chose. Mais Michel Gondry a une façon de travailler qui est tellement bordélique, où on est dans un tourbillon, une sorte tournage perpétuel où on sait jamais vraiment ce qui se passe, où on en est où on va… que cet état-là ne m’a pas du tout permis de réagir de la même manière et de travailler de la même façon. Mais c’était l’occasion en même temps d’opérer un oubli de soi, une liberté, une absence de maîtrise, qui m’ont beaucoup plu. Ce n’était pas un tournage ordinaire.
C’est-à-dire ?
Si vous voulez d’habitude, on se prépare longuement à tourner en amont, et quand on doit filmer, c’est le moment ultime de la journée, où tout a été fait et mis en place pour en arriver là. Chaque prise est dans un cadre protecteur, sacré, qui prend toute son importance. Avec Michel, ce n’est pas du tout comme ça : on tourne tout le temps, on ne sait jamais s’il filme, il n’y a pas de clap, pas de prise… on baigne dedans. Le tournage ne se déroule pas d’une manière ordonnée et ordinaire, si vous voulez. Et c’est vrai qu’au début, c’est surprenant. Mais quand j’ai compris qu’il avait cette manière complètement singulière de travailler, je n’ai pas cherché du tout à résister. Je me suis laissée porter, je lui ai fait confiance, et j’ai adoré la légèreté qu’il y a aussi à travailler comme ça. Je n’ai pas vraiment retrouvé mes marques, mais j’ai pris plaisir à en changer. Je crois qu’il faut éviter, de manière générale dans la vie, de se juger en permanence, et une telle façon de travailler permet de ne pas se juger.
Qu’est-ce que ce tournage vous a appris sur vous-même ?
Euh… (elle réfléchit). Je ne sais pas. En tout cas après un film sombre comme Thérèse Desqueyroux, j’ai aimé mettre en avant uniquement les jolies choses d’un être. Cela m’a beaucoup plu, de retrouver cette insouciance.
Justement, une fois que vous avez vu le film, était-il conforme à vos attentes ?
Le truc, c’est que quand je vois un film pour la première fois, c’est surtout sur moi que je me concentre (rires) ! Et je n’ai vu L’Écume des jours qu’une fois. La seule chose, c’est que je crois qu’un film comme ça, c’est vraiment une aventure. C’est un peu un objet cinématographique non identifié.
Avant de travailler avec lui, étiez-vous familière avec l’œuvre de Michel Gondry ?
Oui, c’est un cinéaste que j’aime beaucoup. Je trouve qu’il y a toujours dans ses films quelque chose de très bienveillant, de pur et d’enfantin. Quand on regarde Soyez sympas, rembobinez ou Human Nature, il y a toujours ce couple de personnages atypiques… Je trouve que c’est vraiment un des exemples du charme du cinéma de Michel Gondry, et un reflet de sa gentillesse à lui et de sa générosité.
On vous connaît une passion pour les voyages, la voile, les singes… Des fausses rumeurs ont même prétendu que vous arrêtiez le cinéma ! Aujourd’hui qu’est-ce qui continue à vous donner envie de faire des films ?
J’ai toujours eu envie de faire du cinéma, parce que c’est ma passion première, et parce que je me donne à fond. Et si j’ai justement besoin de prendre l’air de temps en temps, c’est parce que quand je tourne, je m’investis complètement dans le film, ça me prend tout mon temps et mon énergie. Je fais toujours autre chose à côté, mais je fais du cinéma principalement !
L’ÉCUME DES JOURS
De Michel Gondry, avec Audrey Tautou, Romain Duris, Omar Sy, Charlotte Le Bon… Durée : 2h05. Sortie Belgique : 24 avril 2013
Colin vit une vie de pacha dans un Paris rocambolesque et fantasmagorique. Ses journées consistent principalement à tailler le bout de gras avec son chef cuisiner Nicolas, et disséquer les textes philosophiques de Jean-Sol Partre avec son meilleur copain Chick. Mais malgré sa fortune et ses costumes bien repassés, il manque quelque chose à Colin, quelque chose que même son ami Chick a trouvé : l’Amour avec un grand A.
Lors d’une fête où le jazz bat son plein, il rencontre Chloé sur un air de Duke Ellington. Elle est gentille, jolie, et même qu’elle est d’accord pour se marier. Enfin, Colin se sent amoureux de la tête aux pieds! Mais bientôt, Chloé ne se sent pas très bien, et les bords de ce tableau merveilleux commencent à s’assombrir…
Nés de l’imaginaire de Boris Vian, ce génie touche-à-tout qui aimait la trompette autant que les mots-valises et les cafés parisiens avec Jean-Paul Sartre, Colin et Chloé incarnent pour beaucoup une des plus belles et poignantes histoires d’amour littéraires du XXe siècle. Quel défi dès lors pour Michel Gondry d’entreprendre l’adaptation d’un roman aussi populaire!
Mais il apparaît que l’univers fait de bric et de broc et l’âme d’enfant dans lesquels baigne la filmographie du réalisateur français sont la réponse cinématographique idéale à la douce folie du monde de Vian. Visuellement, L’écume des jours est un délice : en mélangeant habilement les créations du livre et les siennes, Gondry épouse quasi parfaitement la chronologie et les dialogues du roman original, et multiplie d’inventivité pour surprendre le spectateur. C’est coloré, enjoué et rythmé et indéniablement gai. Mais à force de rendre le décor vivant, c’est les personnages qui semblent perdre de leur vivacité et de leur profondeur.