‘La Vie d’Adèle’, Palme d’Or sulfureuse d’Abdellatif Kechiche : « Le spectateur est libre de sortir » [interview]

Première publication : L’Avenir – 8 octobre 2013. 

Palme d’Or, son film «  La Vie d’Adèle » sort mercredi. Qu’importe la polémique qui enfle depuis plusieurs semaines : pour Abdellatif Kechiche, vous êtes libre de quitter la salle.

Des héroïnes qui auraient soi-disant déclaré ne plus vouloir retravailler avec le réalisateur, des scènes charnelles très crues, des discussions sans fin sur le mariage gay… Depuis sa Palme d’or à Cannes en mai, le film La Vie d’Adèle a beaucoup fait parler de lui, nourri bien des débats houleux. Mercredi, ça y est, il débarque dans les salles. L’occasion de faire un dernier point sur la polémique avec Abdellatif Kechiche, son réalisateur, avant de laisser parler – enfin! – les belles images de ce grand film.

Abdellatif Kechiche, la polémique autour de votre méthode de travail a suscité de vives réactions, (NDLR : notamment de la part de Léa Seydoux, qui a qualifié le tournage d’« horrible »). Comment réagissez-vous ?

Cette polémique mensongère n’a pour moi aucune importance. Elle a hélas nui au film, car on ne l’abordera pas avec un regard vierge. On va se dire que derrière, il y avait un micro, une perche et des gens qui soi-disant souffraient. Or personne ne souffre sur mes films. Ceux qui souffrent sont invités à partir illico presto. Et ceux qui viennent savent qu’ils vont faire un travail heureux. Parler de souffrance quand on fait du cinéma c’est d’un ridicule…

La souffrance n’a pas lieu d’être au cinéma ?

Il n’y a pas de souffrance au cinéma. Il y a des gens qui souffrent dans leur vie, parce qu’ils sont ce qu’ils sont, et qui amènent leur souffrance. Mais il n’y a pas de souffrance à faire un film, à jouer un rôle. Il faut faire attention au mot « souffrance » : il y a des gens qui souffrent vraiment. Les gens qui font du cinéma, c’est que du bonheur. Et si on ne le vit pas comme tel, il ne faut pas en faire. Après, il y a ceux qui ne le font pas pour les bonnes raisons… il y a le métier d’acteur et puis il y a le métier de starlette.

Vos films précédents mettaient davantage l’accent sur les conflits sociaux, alors qu’ici ces derniers sont plutôt évacués au profit de l’histoire d’amour.

Oui mais je crois quand même que c’est très présent, au-delà ça aurait été trop. Mais c’est un thème qui m’est cher depuis mon premier film, et sur lequel je m’interroge, et je continue de m’interroger.

Est-ce que ça vous apporte à chaque fois une autre réponse, ou est-ce plutôt un constat ?

Ça commence à devenir un constat ! Disons que maintenant, je m’interroge plus sur le pourquoi.

Il y a dans votre cinéma une volonté de déloger le spectateur de son confort, pour le faire réagir…

Ce n’est pas une obsession, mais plutôt que d’inconfort, disons que j’aime que le spectateur se sente participer. Pas qu’il soit juste assis passif sur son siège, que ce soit un moment de détente, mais qu’il y ait une implication. Mais je suis aussi ce spectateur. Je nous regarde. Je partage, en tout cas. Je ne le mets pas à distance.

Vous forcez ce spectateur à rentrer dans le film ?

Je ne le force pas, il est libre de sortir de la salle.

 

Adèle Exarchopoulos : « On a partagé quelque chose de fort »

Le film porte son nom, la presse la porte aux nues, et le monde du cinéma accueille à bras ouverts cette jeune actrice dont la performance a enflammé les cœurs. À tout juste 19 ans, Adèle Exarchopoulos a parfois encore du mal à réaliser ce qui lui arrive, mais elle est fière de voir acclamé le résultat de cet incroyable travail, qu’elle décrit comme une « aventure humaine ». Plus jeune et moins connue que Léa Seydoux, sa partenaire dans le film, la comédienne allie avec grâce spontanéité, fraîcheur et maturité, mots en verlan et envolées lyriques. Elle regrette que leurs propos aient causé une polémique qui, selon elle non plus, n’a pas lieu d’être : « Si l’interview avait été filmée, il n’y aurait jamais eu ce scandale. On était mortes de rire, il n’y avait pas de rancune. Bien sûr que des fois, je n’étais pas bien pendant le tournage, parce qu’Abdel ça peut être quelqu’un de dur, il a tellement envie que tu prennes du plaisir qu’il ne se rend pas compte qu’à un moment tu te sens plus au top. C’est quelqu’un qui aime tellement la vie, qui veut tellement la filmer, montrer ce que c’est l’humanité, que du coup des fois… bah il est moins humain. Mais c’est quelqu’un que j’aime, que j’estime, que je respecte plus que tout. Ça a été comme un papa, on a partagé quelque chose de très fort tous les trois, et bien sûr que ça va me manquer. »

 

LA VIE D’ADÈLE

D’Abdellatif Kechiche. Avec Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux, Catherine Salée… Durée : 2h55. Sortie Belgique : 9 octobre 2013

«J’ai l’impression de faire semblant… moi, il me manque un truc. » Adèle, quinze ans, le sent : elle est différente de ses camarades de lycée. Elle cherche, se cherche, se construit. Et puis un jour, en traversant la rue, cette fille aux cheveux bleus qu’elle croise va être comme un dé­ clic, un moment décisif, une révélation. De leur rencontre va naître, timidement d’abord, intensément ensuite, une grande histoire d’amour, passionnelle dans les cris de joie comme dans les larmes, dans le désespoir et dans l’euphorie. Avec Emma, Adèle grandit, s’affranchit, devient une femme, sous le regard d’un spectateur aspiré dans ce tourbillon de vie. Car avec sa caméra, c’est la vie à l’état brut que Kechiche veut capter – et il y arrive comme peu ont réussi avant lui. Dans cette recherche de réalisme, d’aucuns le situent dans la lignée d’un Maurice Pialat ou d’un John Cassavetes. Mais plus que de réalisme, on peut davantage de parler de naturalisme dans le cinéma Kechiche, tel que Zola le concevait en littérature : une « fenêtre ouverte sur la création », un écran tentant de donner à voir la vie telle qu’elle se passe. Dans La Vie d’Adèle, on mange, on dort, on rit, on fait l’amour, on pleure, et la vie déborde de l’écran avec une intensité rarement égalée. Notamment grâce au parti pris de mise en scène de son réalisateur, lequel, en privilégiant quasi exclusivement le gros plan, amène le spectateur au plus proche des émotions des personnages, qu’il ressent davantage qu’il ne lesvoit. La Vie d’Adèle exige un abandon. Laissez donc les polémiques, l’angoisse du temps qui passe et tout le chaos de la vraie vie à l’entrée de la salle, et entrez dans celle d’Adèle, comme un adolescent qui se heurte au monde, naïf et avide d’apprendre. Une odyssée amoureuse, et une véritable expérience de cinéma.

 

 

crédit photo : Cinéart

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