Première publication : L’Avenir – 19 novembre 2014.
Co-écrit avec son ex-DJ de frère, Eden, le nouvel opus de Mia Hansen-Love («Un amour de jeunesse») est une sublime fresque historique mêlant péril jeune, électro et ivresse de la nuit.
Sur quoi dansiez-vous quand vous aviez vingt ans ? Le rock des Beatles, les hits disco du Studio 54 ou le punk des Sex Pistols ? Sven lui, était plutôt électro. Flashback, 1992 : nées en Angleterre, les premières rave parties débarquent en France. Les fêtards de l’hexagone découvrent la house music, nouveau genre venu d’Amérique. Un son révolutionnaire qui chatouille les oreilles de Sven et de ses copains DJs, qui se réapproprient vite le genre : la «french touch» est née.
Durant plus d’une décennie, les clubs du monde entier vibrent au rythme des hits de Sven et ses confrères désormais célèbres, comme Cassius, Alex Gopher ou Étienne de Crécy. Mais les superstars du genre sont le duo emblématique Daft Punk, dont le succès international a marqué une génération.
La nuit… et après ?
Après dix ans de fête, le réveil est brutal. Vieilli, fauché, Sven veut construire sa vie. À partir de ses souvenirs, il coécrit avec sa sœur cinéaste ce qui deviendra Eden: un film retraçant l’histoire de cette «french touch» à travers le personnage de Paul, jeune DJ en devenir qui se perd dans les splendeurs et les misères de la nuit.
Une fresque ambitieuse dont l’accouchement fut difficile : « J’ai changé deux fois de producteur, je n’ai pas eu les financements espérés, car les commissions reprochaient au scénario un manque de conflit moteur» explique Mia Hansen-Love. En gros, sur un sujet aussi juteux, on attendait de la demoiselle davantage de sex, drogue(s) et rock ‘n’roll.
Pas de bol : le cinéma Hansen-Love est plutôt doux, fluide et nonchalant. «C’est mon rapport au monde et j’essaye juste d’y être fidèle» se défend-elle. Et ce n’est pas la seule chose qu’elle a dû défendre: «Des gens d’un certain âge n’acceptent pas le film, car pour eux l’électro n’est pas de la musique, et ces gens ont gâché leur vie! Pourtant c’est une musique très idéaliste, véhiculant des idées universelles de fraternité, mais elle n’est pas politique comme la folk des seventies, donc perçue comme vide. Ces gens ont vécu leur passion jusqu’au bout, on peut le voir comme une perte de temps, mais c’est pour moi une perte nécessaire, pour arriver à se construire.»
Au fond, peu importe la B.O., ce qui résonne dans Eden, c’est l’euphorie de la jeunesse. «J’ai voulu faire un film qui soit le plus juste possible sur cette époque, mais qui aurait une forme d’universalité. Parce qu’au fond, les thèmes qu’il brasse, la jeunesse, ses idéaux et sa fragilité, sont universels. »
EDEN
De Mia Hansen-Love, avec Félix de Givry, Pauline Etienne, Hugo Conzelmann, Vincent Macaigne, Greta Gerwig… Durée : 2h10. Sortie Belgique : 19 novembre 2014
Des films à cinq étoiles, c’est rare. Ça arrive deux, trois fois par an maximum. Mais quand un tel film débarque, s’élevant au-dessus du flot discontinu des sorties, il nous rappelle à quel point le cinéma est le pays du rêve. Un rêve de jeunesse, indolent et exalté, dans lequel nous plongent Mia et Sven en liant habilement la grande Histoire à la petite, l’universel et l’intime. La caméra, souvent portée à l’épaule, suit Paul et ses amis dans leurs joies et leurs peines sans excès de pathos ni de sensationnalisme : fluide et apaisé, le film coule simplement, à l’image de la vie. Rythmé de bout en bout par l’électro entêtante des 90s et porté par une poignée de visages émergeants du cinéma francophone (dont notre compatriote, la prometteuse Pauline Etienne), Eden est une véritable invitation au voyage. Alors, on danse ?
crédit photo : Cinéart