Première publication : L’Avenir – 10 mars 2015.
Si vous avez aimé les facéties de son ‘Persepolis’ et la poésie de son ‘Poulet aux prunes’… accrochez-vous, car le dernier film de Marjane Satrapi risque bien de vous surprendre !
Après deux adaptations de ses bandes dessinées où elle racontait ses souvenirs d’enfance et un road-movie intimiste resté inédit chez nous (La bande des Jotas), la réalisatrice-scénariste-dessinatrice iranienne Majane Satrapi revient sur le grand écran avec ‘The Voices’, son premier film « made in USA ». Comédie d’horreur aux couleurs kitsch dont le héros est un serial killer qui s’ignore, ce nouvel opus apparaît comme un virage étonnant pour celle qui a habitué son public à un style plus austère, un point de vue plus naïf et des thématiques moins «gore». Mais après l’avoir rencontrée, on comprend mieux pourquoi cette femme dynamique au franc-parler désarmant ne se laisse enfermer dans aucune case.
Marjane Satrapi, pour le spectateur, ‘The Voices’ est très différent de vos précédents films à beaucoup de niveaux. Le ressentez-vous ainsi ?
Pas vraiment. Ce n’est pas un virage, c’est juste que je m’intéresse à d’autres histoires que les miennes, parce que mon univers est limité par ma propre personne! Donc, quand j’ai la chance d’aller ailleurs j’y vais, car à un moment, je m’ennuie moi-même (rires) ! Il y a des gens qui y arrivent à creuser un sujet jusqu’à l’os, et ils font des merveilles. On dit d’eux: « Lui, c’est le maître de… » Moi, je ne suis le maître de rien du tout. Je m’ennuie vite, j’aime diversifier les choses. Bon, je ne ferai jamais Transformers 4, parce que je ne peux rien créer, il y a une charte à respecter, etc. Mais des films indépendants où je peux inventer ce que je veux, ça m’intéresse! Surtout quand, comme ici, c’est un scénario que j’aurais été incapable d’écrire!
‘The Voices’ a un humour très noir, certains le placent « entre Hitchcock et Terry Gilliam »: ça vous parle ?
Écoutez, s’ils le pensent, on va dire que c’est vrai (rires) ! Ce sont en tout cas deux cinéastes que j’adore. On dit souvent que le cinéma est une narration, mais le cinéma c’est un langage. Ce n’est pas tellement ce que vous racontez, mais comment vous le racontez: vous pouvez avoir la meilleure histoire du monde, si c’est mal raconté, c’est tout pourri. Et vous pouvez avoir un scénario incompréhensible, si c’est bien raconté, ça peut devenir le meilleur film du monde. La question c’est vraiment de trouver son langage à soi. Si vous copiez les autres, vous devenez un singe, et ça se ressent. Donc j’essaye de trouver mon propre langage à chaque fois.
Qu’est-ce qui vous fait rire ?
Pratiquement tout. Même les choses les plus dégueulasses, ça peut me faire rire ! Je peux autant rire devant les Monty Python que les frères Coen, Desproges ou Flaubert! Même l’humour pipi-caca, ça dépend comment c’est fait…
Qu’est-ce qui ne vous fait pas rire ?
La bêtise. Ça ne me fait jamais rire.
Vous avez raconté qu’à la suite du succès de ‘Persepolis’ on vous a proposé beaucoup de films « féminins »…
Oui, ce genre de films « de nanas » avec des filles dont l’obsession est d’avoir un mec et de se marier… Ça m’emmerde. Les femmes ne sont pas une catégorie d’êtres humains à part !
On ne proposerait pas à un homme de faire un film « sur les hommes »…
Exactement, c’est aussi bête que ça. Donc je refuse de faire ce genre de choses. Comme je refuse d’aller dans des festivals de films pour femmes, ou de littérature féminine… Ce n’est pas comme si nous étions handicapées et qu’il nous fallait un espace à part! Si on commence à séparer, allons-y franchement: faisons des festivals pour les Noirs et pour les Blancs, pour les nains et pour les grands, parce que les gens d’1 m 10 n’ont pas la même vision du monde que les gens qui font 2 mètres ! C’est de la ghettoïsation, ça !
Vous rejoignez Xavier Dolan, qui a récemment fait polémique en refusant les prix « queer » et autres étiquettes « gay » ?
Mais oui, ça ne veut rien dire ! Un film peut avoir pour sujet l’homosexualité, ça n’en fait pas automatiquement un film gay ! C’est un film qui parle des gays, comme un film parle des fleurs… C’est un sujet parmi d’autres.
THE VOICES
De Marjane Satrapi. Avec Ryan Reynolds, Gemma Arterton, Jacki Weaver, Anna Kendrick… Durée : 1h37. Sortie Belgique : 11 mars 2015
Ce que ça raconte : Sourire poli et air naïf, Jerry a tout du parfait gentil. Le genre à voir la vie en rose, et à être secrètement amoureux de la jolie Fiona. Mais en vérité, Jerry est un meurtrier qui s’ignore, et quand il oublie de prendre ses cachets, il entend ses animaux parler et assassine ses collègues…
Ce qu’on en pense : Après « Persepolis » et « Poulet aux Prunes », Marjane Satrapi change de registre pour une comédie noire à l’esthétique vintage et au ton horriblement drôle, dans laquelle les chats et les chiens sont doués de parole et les giclées de sang répondent aux couleurs kitsch des décors. Car derrière son apparence affable, Jerry souffre de troubles de la personnalité qui lui font entendre des voix quand il oublie les cachets prescrits par sa psy.Porté par un humour très grinçant et rehaussé de couleurs pop, The Voices navigue entre le kitsch et le trash, et le résultat est sacrément réussi. Férocement jouissif !
crédit photos : Reporters/Victory Productions