Hiam Abbass, de réplicant dans ‘Blade Runner’ à mère de famille syrienne : « j’aime piocher dans le doute »

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Hiam Abbass dans ‘Insyriated (Une Famille Syrienne)’ de Philippe Van Leeuw, prix du Public à la Berlinale 2017

 

Première parution : Metro Belgique – 11 octobre 2017

Si vous avez couru, comme pas mal de monde depuis une semaine, pour aller voir ‘Blade Runner 2049’, son visage vous dira quelque chose, puisqu’elle y incarne Freysa, une réplicante rebelle (et aveugle). Hiam Abbass, elle est comme ça : elle navigue entre des films d’auteur puissants, comme ‘Une famille syrienne (Insyriated)’ et des blockbusters… eh bien, tout aussi puissants Pourtant l’actrice et réalisatrice israélo-palestinienne n’en a pas fait une stratégie de carrière. Rencontre avec une actrice polyglotte à la filmographie impressionnante.

 

Vous jouez une mère de famille syrienne pendant la guerre. Comment on prépare un tel rôle ? 

Hiam Abbass : « En fait, je ne me pose pas de questions. Si ce n’est pas un rôle historique, où il faut que j’apprenne des détails sur le personnage, pour moi tout est là, tout est écrit. Après, il y a la préparation du film en lui-même, et ça ça a été une semaine de lecture autour de la table, avec Philippe (Van Leeuw, le réalisateur, NDLR) et les enfants. C’est là où on passe par toute la phase de réflexion. Parce que si on a un problème à l’écrit, c’est mieux de l’aborder avant le tournage. Donc on décortique, on trouve des solutions, pour être sûrs qu’on est d’accord sur tout. Les intentions du personnage, d’où elle est, qui elle est, quelles sont ses préoccupations. Comme ça, quand on commence à tourner, il n’y a plus rien à faire à part : être. »

Le film a été tourné à Beyrouth, avec de nombreux acteurs qui sont eux-mêmes des réfugiés syriens…

« Oui, et on avait un coach syrien sur le plateau, qui lui-même a une histoire de la guerre vraiment hallucinante. Il nous donnait son avis, par exemple sur à ce qu’ils mangeaient… On ne pouvait pas mettre d’un seul coup des fruits sur la table comme si on avait été au marché ! Ces choses-là rendent le film plus authentique. Donc sa présence, et celle des enfants, qui eux aussi sont tous réfugiés au Liban à cause de la guerre, donnent une force à la famille qu’on forme dans le film. »

Vous avez une Impressionnante filmographie : Jim Jarmusch, Ridley Scott (‘Exodus’), Steven Spielberg (‘Munich’), la série The OA sur Netflix, et beaucoup de petits films d’auteur entre…

« Effectivement dans ma carrière les choses se sont succédées dans cet ordre-là, mais il y a aussi beaucoup de choses que j’ai refusées. Pour des raisons financières, ou d’envie personnelle… Ce n’est pas un calcul, genre « je vais faire un blockbuster puis un film intimiste ». J’essaye de faire des choix qui me plaisent avant tout. Par exemple il y a deux ans, j’ai tourné seulement dans deux films, et c’était des si petits budgets que c’était impossible de survivre financièrement. A côté j’avais reçu une proposition pour une série américaine, où j’aurais pu être payée vraiment… très bien. J’ai choisi les petits films. »

L’envie avant tout, quitte à ne pas manger ?

« Oui, ça m’est arrivé. Par contre, je n’ai pas accepté ‘The OA’ après parce que c’était mieux payé que les films d’auteur (rires) ! De toute façon je pense que si un jour je faisais un film uniquement pour l’argent, je l’annoncerais. »

Arabe israélienne, vous parlez quatre langues (français, anglais, arabe, hébreu). C’est plus facile pour trouver du travail dans le cinéma ?

« Ça dépend. Mais c’est vrai que j’ai un parcours atypique. Quand je suis arrivée en France, à 28 ans, je ne parlais pas un mot de français. Avant j’étais à Londres, et avant ça c’était la Palestine. Et quand vous voulez être actrice en France sans parler la langue, au début c’est difficile (rires) ! Du coup on fait ses choix dans ce cadre-là. Mais tout doucement j’ai appris. Après le fait que j’ai un accent en Français, ça a empêché aussi certains rôles, parce que les gens me mettaient dans la case : atypique. Mais je ne me suis jamais trop préoccupée de ce genre de choses, du moment où j’ai pu travailler dans d’autres langues, dans des films et des rôles tout aussi forts. Au fond ce qui m’intéresse dans ce métier, c’est la complexité du rôle : qu’il m’apporte quelque chose, qu’il apportera ensuite aussi quelque chose au spectateur. »

Difficile d’apprendre le français quand on vient de l’arabe et de l’hébreu ?

« Oh ! Au début je pensais que je n’y arriverais jamais ! Contrairement à l’anglais, l’arabe et l’hébreu que j’ai appris à l’école, le Français je l’ai appris dans la rue. Enfin, je ne veux pas dire que j’ai vécu dans la rue (rires), je veux dire en l’écoutant. En posant des questions. Puis j’ai acheté un livre de grammaire pour comprendre comment conjuguer les verbes… »

A quel point c’est important pour vous qu’un film ait un ancrage politique – au sens très large ?

« Je ne me réveille pas tous les matins en me disant ‘il faut parler de ce qui se passe en Russie ou aux Etats-Unis’. Heureusement, je ne suis pas la seule à être consciente de tout ça : nombreux réalisateurs et scénaristes sont porteurs d’une pensée sur l’actualité, la société. Et quand un de leurs rôles arrive à moi, je trouve mon compte dedans. En tant qu’artistes, on a une responsabilité [de s’exprimer] sur ce qui se passe dans le monde. On a un outil dans la main : celui de la communication. »

Et le cinéma est politique. Même si c’est un film avec des pirates ou des lapins qui chantent…

« Exactement. Et la politique, ce n’est pas ce que les politiciens font dans les gouvernements. C’est un engagement personnel envers la vie, et ce qui se passe autour de soi. A partir de là, tout peut être politique. Et l’est. Et c’est vrai que j’aime être remuée. J’aime toujours sortir de ma zone de confort. Et surtout, j’aime aller piocher dans le doute. J’aime douter de tout ce qui nous arrive. Ça me fait me poser des questions. Et si un film les pose aussi, je suis partante. »

 

 

 

Insyriated (Une Famille Syrienne)

On pense que tout a été raconté sur le conflit syrien, et puis arrive le film de Philippe Van Leeuw. Présenté au dernier festival de Berlin où il a raflé le prix du Public, ‘Insyriated’ nous raconte la guerre vue depuis… l’intérieur d’un appartement. On entend beaucoup parler de ceux qui ont quitté le pays. Ici, on parle de ceux qui sont restés. Dans cet appartement, une mère (Hiam Abbass), ses enfants, le grand-père et la bonne (sur)vivent au jour le jour, le quotidien rythmé par les bruit des bombes. Malgré la méfiance et le danger, ils accueillent un couple de voisins. Et puis un matin, en regardant par la fenêtre, la bonne voit quelque chose d’affreux. Un secret qu’elle devra cacher. Tourné comme un huis-clos, mi-drame mi-thriller, ‘Insyriated’ exploite habilement tous les outils du cinéma (non-dits, hors-champ) pour nous maintenir dans une tension permanente. Mais aussi parce qu’il parle de guerre, il questionne notre moralité face à des situations extrêmes. En ce sens, ‘Insyriated’ pourrait se passer n’importe où sur cette Terre. Couplée à sa mise en scène et ses acteurs, c’est cette universalité qui donne sa force à ce film terrassant.

 

 

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