Première parution : Metro Belgique – 15 octobre 2017 – version intégrale
Qu’il soit un super-vilain chez Marvel (« X-Men »), un génie de l’informatique chez Danny Boyle (« Steve Jobs ») ou un accro du sexe chez son ami Steve McQueen (« Shame »), Michael Fassbender aborde toujours ses rôles avec la même intensité. Mais au fond, ce n’est pas pour jouer la carte de l’intello, car l’acteur germano-irlandais réfléchit davantage avec ses tripes. Et même quand le film est décevant, comme c’est le cas ici avec « The Snowman » (« Le Bonhomme de Neige »), lui ne l’est jamais.
Dans ce film, adapté du roman de Jo Nesbo, vous incarnez le détective Harry Hole. Magneto, Steve Jobs, Macbeth… Est-ce que c’est une pression supplémentaire de jouer des personnages déjà connus du public ?
« Bien sûr, vous essayez de respecter réalité le plus possible… Mais pour être vraiment libre, vous devez aussi pouvoir lui manquer un peu de respect. Pour pouvoir être libre de faire ce que vous voulez faire. Aussi, je m’adapte toujours à la méthode du réalisateur ou de la réalisatrice, parce que c’est sa vision qui prime. Ici, il y a déjà énormément d’information sur Harry Hole dans les livres, donc j’avais beaucoup de matière pour préparer le rôle. On en a aussi beaucoup discuté avec Tomas. Travailler avec Tomas était une expérience très agréable. C’est quelqu’un de très considéré, il est très… Il y a une sophistication dans sa matière de tourner. Comme Dion Beebe, le directeur de photographie : ils sont tous les deux très précis dans leur façon de travailler. Tomas nous faisait répéter, et quand il sentait que tout était prêt, on tournait. Habituellement, je préfère tourner directement, mais je m’adapte à la vision du cinéaste. Pareil avec Andrea Arnold (dans ‘Fish Tank’, NDLR) : je n’ai pu préparer le rôle ou apprendre mon texte, comme je fais d’habitude, parce qu’elle me donnait chaque scène la veille. Je n’ai jamais eu le scénario en entier ! Mais je me suis dit : ‘OK, cool, essayons comme ça’. Et idem, au final c’était une expérience très agréable. »
Vous êtes peu loquace dans ce film…
Ouais c’est super (rires).
Et dans la vraie vie ?
Ca dépend avec qui je discute (rires). Je ne saurais pas vous dire. Je devrais probablement me taire davantage.
Le film est à Oslo. C’est comment, de tourner dans le froid ?
A la base je n’aime vraiment pas le froid. Le tournage de Maceth par exemple, ça c’était brutal. Le mélange de froid et d’humidité qui vous transperce les os… Je déteste ça. Mais en Norvège c’est un froid sec et frais, donc j’ai vraiment adoré, je trouvais ça revigorant d’enfiler des couches de vêtements et puis de sortir dans le froid… Et j’ai aussi eu l’occasion d’essayer le ski pour la première fois…
Comment ça s’est passé ?
Très bien !
Vous avez l’air de préférer les rôles intenses. Quels éléments vous font dire oui à un projet, que cherchez-vous dans un projet ?
Je ne cherche pas toujours forcément l’approche intellectuelle. C’est surtout une question de ressenti : si le scénario que je lis m’attrape par les tripes, comment il me fait réagir… Et puis, qui est le réalisateur ou réalisatrice. Et ensuite, se pose la question de si j’ai déjà fait quelque chose du même genre par le passé. Donc ouais, il y a peut-être des points communs dans mes rôles en termes d’intensité, mais le personnage de Harry est très différent de Steve Jobs, ou de Bobby Sands (qu’il incarne dans le brillant ‘Hunger » de Steve McQueen, NDLR). J’essaye de trouver des personnages différents, et d’apprendre de chacun d’eux. Il y a un certain élément de risque, une dose de risque, et puis travailler avec un réalisateur qui je pense va m’apprendre des choses.
De tous ces rôles différents, votre regard change-t-il sur eux en fonction de l’accueil public ou critique qu’ils ont reçu ? Le succès ou l’échec d’un de vos films change-t-il votre regard sur votre travail ?
Eh bien, naturellement vous avez envie que chaque film que vous faites soit un succès. Et c’est vrai que ça vous affecte quand ce n’est pas le cas. Mais je suis assez honnête, en général : si je vois quelque chose que j’aime, et les critiques ne l’aiment pas, ça ne me fait pas changer d’avis. Ou à l’inverse, si je ne suis pas content de mon travail dans un film, et que les critiques l’adorent, je ne me dis pas : « Ouais, ils ont raison » (rires). J’ai mon propre bâton de mesure, et j’ai appris à m’en servir très tôt, à l’école de théâtre. J’étais dans une école très dure, intense, où à la fin de notre prestation, le groupe s’asseyait, et tous les profs défilaient en formant une ligne face de nous, un peu comme un peloton d’exécution (rires). Et ils passaient un par un, et je me souviendrai toujours de l’angoisse des gens, attendant d’entendre s’ils avaient été bons ou pas. C’est à ce moment-là que j’ai décidé que j’aurais mon propre étalon, pour qu’à chaque fois que je sors de scène, je me dise : « C’était bien, tu étais présent, investi – ou non. » Je peux ainsi faire mes propres jugements, être honnête avec moi-même.
Vous êtes moitié Irlandais, moitié Allemand, vous vivez à Londres… Que pensez-vous du Brexit ?
Je vis à Lisbonne. Mais je trouve ça très triste. Juste parce que de manière générale, je ne suis pas un fan des frontières. D’abord, parce que c’est casse-burnes à traverser. Mais je n’aime pas vraiment le concept, de manière générale. Je pense qu’en Europe… Je comprends pourquoi les gens ont voté pour ça, mais j’aime l’idée d’une Europe comme d’une grande communauté, c’était en tout cas le concept de base. Aujourd’hui, je comprends comment l’impact de l’austérité dans certains pays a pu affecter l’avis des gens, et qu’ils en aient marre de ça. Et l’exploitation de ce scénario. L’argent qui est prêté, et les intérêts qui doivent être remboursés, à la personne qui vous le prête, etc, je comprends. Mais le concept autour de ça, je… suis pro-Europe. De nouveau, l’opportunité pour les jeunes générations de pouvoir voyager librement, de travailler dans différents pays en Europe, et aussi de juste, pouvoir empêcher les guerres… rien que pour ces deux raisons je préférerais voir une Europe unie.
Pour vous en vrai ça ne changera pas grand chose niveau liberté de mouvement …
J’imagine que non, pas concrètement mais ça m’affectera parce que c’est l’environnement dans lequel je vis. Ca nous affecte tous, je pense. Mais oui, en termes d’effet direct, probablement pas.
Ce film va peut-être devenir une franchise, vous le referiez ? Et aussi, retravailleriez-vous avec Steve McQueen ?
Absolument. J’adorerais rebosser avec Steve. On a une super relation professionnelle, mais aussi en-dehors du boulot. On est très proches, je l’adore, donc oui tout à fait. En termes de franchise pour ceci, oui, absolument. Comme j’ai dit, je ne connaissais pas du tout ces livres avant de recevoir le scénario, et après l’avoir lu je les ai tous dévorés… excepté ‘The Snowman’. Je voulais connaître Harry, son histoire, son passé, son futur… Le scénario est différent du livre, je sais que Tomas voulait faire son propre truc – tout en respectant la matière d’origine bien sûr, mais du coup l’intrigue est un peu différente. Mais oui, du coup ça m’a fait aimer Harry, je le trouve attachant. J’aime le fait qu’il compte davantage sur son cerveau que sur ses muscles : ce n’est pas un héros de film d’action. Dans les livres, quand il s’embrouille avec quelqu’un en général ce n’est pas lui qui s’en sort le mieux (rires). J’aime ça. Et aussi le fait qu’il a un côté « socialement inadapté » : je crois qu’il n’a qu’un seul ami… C’est quelqu’un de très approfondi, très réfléchi, Jo Nesbo a fait un boulot génial avec ce personnage, j’arrive à le voir, comme une vraie personne. Donc oui, je suis vraiment tombé amoureux du personnage au fur et à mesure que je lisais chaque livre.
Avez-vous le sentiment d’avoir changé, évolué comme acteur, depuis vos débuts ?
Je ne sais pas… J’ai le sentiment d’avoir plus d’expérience, ça c’est sûr… Oui j’ai probablement… Pas… Définitivement, à mes débuts, il y avait cette idée, de beaucoup d’angoisse, de souffrance pour son art, ce genre de trucs, quand j’étais en école de théâtre. Mais depuis que j’ai fait l’expérience de l’école, j’ai commencé à développer davantage… une sorte d’approche plus détendue, en termes d’entrer et de sortir du rôle. Et de le laisser derrière moi quand je rentre à la maison. Et puis y revenir. Parce que je travaillais tellement, aussi… J’ai réalisé que c’était plus sain pour moi de le faire comme ça.
Y a-t-il des rôles qui vous accompagnent, auxquels vous repensez ?
Non, justement, c’est ça le truc : une fois que c’est terminé, j’oublie. J’oublie aussi les répliques ! Macbeth, par exemple… C’est marrant, cette mémoire à très court terme. Peut-être que le jour où je deviens sénile, ils reviendront tous me hanter (rires).
UPDATE : https://theestablishment.co/why-are-we-ignoring-that-michael-fassbender-was-accused-of-abuse-c645433a4539
The Snowman
Harry Hole, c’est un peu le Hercule Poirot norvégien : né sous la plume de Jo Nesbø en 1997, ses aventures d’enquêteur-aux-méthodes-pas -très-catholiques ont fait l’objet de 11 romans. Le 7ème, intitulé ‘Le Bonhomme de Neige’ évoque un tueur en série qui, 24 ans après son premier meurtre, recommence à faire des victimes à Oslo. Grâce à l’aide nouvelle recrue (Rebecca Ferguson), et aussi celle de son amie la bouteille d’alcool, Harry Hole mène l’enquête, entre deux visites à son ex (Charlotte Gainsbourg) et leur fils. Michael Fassbender en tête d’affiche, un bouquin à succès comme base, les décors immaculés de la Norvège, et le réalisateur de ‘Tinker Tailor Soldier Spy’ derrière la caméra : tout cela présageait d’un bon film. Et à l’arrivée, c’est la grosse déception, car tout ce potentiel se vautre à cause d’un scénario incompréhensible et mal agencé. Emballé dans une photographie impressionnante, le film a une esthétique indéniable, et un casting solide porté par un Fassbender au top. Mais cela n’empêche pas le sentiment de gâchis qu’on ressent à la sortie.