Paru dans : Metro Belgique, 27 décembre 2017

Cannes – C’est en 2013 que Paulina García obtient la reconnaissance internationale, avec le prix d’interprétation féminine au festival de Berlin pour ‘Gloria’. Depuis, les sériephiles parmi vous l’ont aussi vue dans ‘Narcos’, où elle incarne Hermilda Gaviria, la madre d’Escobar. Mais ça fait un bail que la comédienne de théâtre, télé et cinéma est connue dans son pays, le Chili. Douce et souriante, on l’a croisée au dernier Festival de Cannes, où elle présentait 2 films : ‘La Fiancée du désert’ qui sort cette semaine, et ‘El Presidente (La Cordillera)’, en salles début janvier.
Comment ça va ?
Paulina García : « Ça va, merci et vous ? Un peu fatiguée, mais… ‘c’est Cannes’ (sic) (rires). »
C’est comment de découvrir le film à Cannes ?
« Ça m’a beaucoup plu de pouvoir le découvrir sur grand écran. Et j’ai été impressionnée par le risque visuel que les réalisatrices ont pris. L’image est vraiment belle, cette focale, ce double fond qu’elles utilisent, ça m’a fascinée. C’est très beau, parce que le film se raconte cinématographiquement. Il a un regard cinématographique extrêmement délicat. »
Oui, il y a des choses de l’histoire qu’on comprend intuitivement, grâce aux images, sans avoir besoin de mots.
« Oui, il n’y a pas trop d’explications sur mon parcours, ni une émotion excessive des la part des acteurs : nous sommes présents sur l’écran, mais les images disent plus de choses sur nous, que nous en disons nous-mêmes ! »
Teresa, votre personnage, a dédié sa vie aux autres. Elle rencontre Gringo, qui est son exact contraire. Il bouge tout le temps, et elle n’a jamais bougé de sa vie !
« C’est beau, non ? Ça m’a plu aussi. Elle lui demande : « Vous ne vous lassez pas d’avoir autant la bougeotte ? » et lui répond : « Et vous, de faire du sur-place ? » (Rires) C’est la scène qui me plaît le plus dans le film. C’est rare, de nos jours, de voir un film qui parle de la recherche du bonheur. Et aussi de la spiritualité païenne. »
La légende de cette sainte païenne est effectivement un élément important du film. C’est quoi exactement ?
« En Amérique Latine, c’est commun que certains personnages se transforment en Saints sans que l’église les canonise. Le long des routes, on croise parfois des petites maisons dédiées aux morts : on appelle ça animitas del camino, les petites âmes de la route. Le film raconte l’histoire de l’une d’elles : une femme morte dans le désert argentin, dans la zone de San Juan, tout près de la Cordillère des Andes. Elle est morte en cherchant son mari, et elle avait son bébé avec elle. Le bébé a survécu en tétant le sein de sa mère. Un berger passait par là : il sauve l’enfant, creuse une tombe pour la défunte, et plante un petit arbre au-dessus, pour pouvoir y emmener un jour l’enfant et lui montrer où est enterrée sa mère. Quand il est retourné un an plus tard, l’arbre avait poussé, donc on raconte qu’il déposa une bouteille d’eau… »
Comme celles qu’on voit dans le film…
« … Et il est devenu riche. Donc chaque année, pour la remercier, il revenait lui déposer une bouteille d’eau. Voyant ça, les autres bergers, les voyageurs et les gens de passage, ont commencé à faire pareil. Et avec les années tout ça s’est transformé en une procession aujourd’hui énorme, vous n’imaginez pas à quel point ! C’est une colline sur laquelle les gens déposent toutes sortes d’offrandes pour la sainte : des maisonnettes en bois, pour qu’elle exauce leur vœu d’avoir leur propre maison, ou des valises, pour qu’elle exauce leur vœu de voyage… Mais aussi des vêtements, des autos, des bus, des lits, des motos ! C’est la chose la plus étrange que j’ai vue de ma vie. »
Teresa entame un nouveau départ dans sa vie, alors qu’elle pensait qu’à son âge elle n’avait plus rien à découvrir. Un rôle qui fait penser à ‘Gloria’ (2013) de Sebastián Lelio, qui parle aussi de seconde jeunesse. Voyez-vous aussi des ressemblances entre les deux ?
« Oui, en lisant le scénario j’ai aussi pensé à Gloria, parce que c’est aussi une femme qui fait un long voyage, au sens propre comme au figuré. Sa rencontre avec un homme va provoque un changement dans sa vie. Mais ce qui m’a beaucoup plu dans le changement de ce film, c’est qu’il y a cet élément inhabituel, qui est cette sainte païenne. Ce lien avec ce monde étrange, païen mais religieux à la fois, place le film dans une dimension particulière. Claudio et moi, mais aussi la nature, le désert, les éléments : tout est un personnage dans le film. »
Comme dans ‘Gloria’, il y a cette idée qu’il n’y a pas forcément besoin tout accomplir dans ta jeunesse…
« Oui, et aussi que très tôt on pense que la vie, c’est avoir un travail, un(e) conjoint(e), et des enfants. Comme si juste le fait d’exister ne suffisait pas (rires) ! Pour moi c’est ça que raconte le film. C’est un voyage vers l’être. »
Vous êtes Chilienne, le film est d’Argentine… Comme en Europe, les pays d’Amérique Latine font souvent des coproductions ?
« Oui, il y a des accords en ce sens, qui favorisent les échanges. Tous les pays n’ont pas d’accords entre eux, mais ces dernières années l’Argentine s’est ouverte à ce genre de coproductions, elle a passé un accord avec le Mexique, et récemment avec le Pérou. C’est la meilleure façon de faire du cinéma mondial, selon moi. Mais la migration est quelque chose de récent. L’Amérique Latine fonctionne de façon très territoriale, les peuples sont en général très fermés, très traditionalistes. C’est fou de se dire qu’on a la même langue, tellement on est différents ! Mais les guerres internes ont provoqué des migrations dues à la pauvreté. À cause des guérillas des années 90 dues au trafic de drogue, le Chili a reçu une migration énorme du Pérou, d’Equateur, de Colombie, et récemment d’Haïti et du Venezuela. Pour la première fois depuis des années, il y a des gens d’une autre couleur de peau dans les rues, ça nous fait encore un choc de voir des personnes noires… »
La novia del desierto (la fiancée du désert)
Il se raconte que dans le désert argentin, il existe une sainte qui exauce tous vos vœux, si vous lui laissez en offrande un peu d’eau. Il paraît que c’est l’âme d’une femme morte dans le désert. Tous les ans, son lieu de mort devient lieu de fête. Vous en auriez parlé à Teresa avant, elle aurait ri : à 54 ans, cette femme qui a vécu à Buenos Aires toute sa vie au service d’une famille, ne croit pas en Dieu et n’avait jamais mis un pied dans le désert. Comme beaucoup, elle pensait que sa vie serait toujours pareille. Et puis un jour, elle rencontre le désert, et un homme surnommé Gringo. Ce qui arrive ensuite se raconte presque sans mots : aérien et délicat, ce film signé par 2 réalisatrices argentines fait l’économie de dialogues pour laisser les images, splendides, nous emporter. La luminosité et les couleurs des paysages sont éblouissantes dans ce film, comme pour souligner la nouvelle direction que va prendre la vie de Teresa, incarnée avec dévotion par Paulina García. Il n’est jamais trop tard pour un nouveau départ, et ce film nous le rappelle tendrement.
crédit photo : Cinéart