Première parution : Metro Belgique, 9 juillet 2018 – Texte intégral
Los Angeles – Un sourire éclatant, des jambes interminables et une bouche qui n’a pas peur de dire ‘fuck’ : mesdames et messieurs, Charlize Theron. La comédienne Sud-Africaine, 43 ans et un enfant, est considérée comme un sex-symbol, mais ça ne l’a jamais empêchée de casser son image et jouer avec son corps : en 2003 dans ‘Monster’, son rôle de tueuse qui lui fait gagner l’Oscar. Pour ‘Tully’, le nouvel opus de Jason Reitman et Diablo Cody (‘Juno’), elle a pris 20 kilos pour incarner une femme aux prises avec la maternité. Le résultat est bluffant de vérité.
Que pensez-vous que le film raconte qui n’a pas encore été raconté ?
Ce que j’adore dans mon boulot, c’est qu’il me donne l’occasion d’explorer l’humain. J’ai toujours adoré observer les gens et leurs petites bizarreries, ces choses pas toujours acceptables ou agréables de notre comportement. Donc quand vous tombez sur un cinéaste comme Jason qui, comme vous, aime aborder ce genre de choses, c’est juste génial. Quand on faisait Young Adult, il m’a demandé : « Que voudrais-tu raconter sur le fait d’être une femme qui n’a jamais été raconté ? » J’ai dit : « Le fait qu’on doive porter ces putain d’escalopes de poulet tout le temps. – C’est quoi une escalope de poulet ? – Ces trucs en silicone qu’on met dans le soutif – OK cool, parlons-en dans le film » (rires). Entre nous il n’y a aucune gêne, on se fait confiance, on a le même esprit. Donc ça rend le travail agréable.
C’est un rôle qui demande beaucoup de travail avec votre corps – on pense à la scène d’accouchement, où la frustration et la douleur se lisent sur votre visage… Comment vous avez préparé ?
C’était vraiment un choix de mise en scène que Jason voulait faire, et je n’avais pas de problème avec ça, parce que j’ai fait une scène d’accouchement bien plus intense dans The Road, où je m’étais carrément pété une corde vocale ! D’ailleurs j’en subis encore les conséquences. Je me souviens que John Hillcoat (le réalisateur de The Road, NDLR) m’avait dit un truc du genre : « Je veux que ce soit un accouchement brutal, d’ailleurs je vais plaquer par-dessus la bande son les vrais cris d’une femme en train d’accoucher, parce que je ne pense pas que tu en sois capable » et j’ai fait : « Ah ouais ? » (rires). Donc quand on a tourné la scène j’ai littéralement cru que quelque chose allait finir par sortir de moi tellement je poussais (rires). Donc pour cet accouchement-ci, je n’avais pas d’idée spécifique. Jason a dit très tôt qu’il voulait la faire comme ça. J’espère que ce n’est pas trop personnel de dévoiler ça, mais il m’a dit que c’était très similaire à la naissance de sa fille. Ce qui est marrant, c’est que la scène naissance dans The Road est proche de ce que ma mère m’a toujours décrit comme ma naissance à moi (rires). Donc ici c’est plutôt l’expérience de Jason, et j’étais ravie de la faire comme ça. C’est pas trop de préparation, il faut juste trouver les bons sous-vêtements… Bon, il y a un acteur entre vos jambes toute la journée, ça ça peut devenir un peu bizarre, mais sinon, ça va… (rires)
Le film tacle l’image de la ‘maman Instagram’ à la vie parfaite… ça vous parle ?
Ça me fait marrer, oui. Je suis nulle en réseaux sociaux, je ne sais même pas comment ‘follower’ quelqu’un, mais quand mes amies me disent « Tu as vu son post ? » je suis là : « Non je ne sais pas comment, montre-moi… Quoi ? Où est-ce qu’elle a trouvé le temps de faire tout ça ? » (rires). Ca me fait marrer parce qu’aujourd’hui à presque 43 ans, je sais que tout ça n’est pas vraiment la réalité. C’est impossible que tout ça arrive réellement chaque jour. Je ne dirai pas qui, mais j’ai vu des photos d’une célébrité déposant son enfant à l’école, à un arrêt de bus, et c’était comme si elle sortait d’une campagne de maquillage ! Je me suis dit : « Ce n’est pas réel, je le SAIS ! Je ne ressemble PAS DU TOUT à ça quand je dépose mes enfants à 7 heures du matin ! » (rires)

Vous n’avez jamais eu peur de changer votre physique et montrer d’autres aspects de la féminité pour un rôle, comme dans ‘Monster’ en 2003. La relation avec votre corps change-t-elle avec l’âge ?
C’est clair que ce que j’ai fait à mon corps en tant qu’actrice est différent de comment je vis mon corps en tant que moi. Mais les choses sont beaucoup plus faciles à 20 ans, aussi. A 20 ans je n’avais jamais mis un pied dans une salle de sport, je savais à peine ce que c’était ! Et puis la trentaine est arrivée, et j’ai compris pourquoi les gens y vont (rires). A 20 ans ton corps c’est buffet à volonté, tu manges ce que tu veux et tout reste en place. Et puis à 30 ans tu réalises que tu dois suer pour que tout ça continue à être en place ! Donc j’apprécie plus mon corps maintenant, car je sais à quel point c’est un putain de travail ! Mais en ce qui concerne ma carrière, j’ai fait ‘Monster’ à 26 ans, et je n’y ai pas réfléchi à deux fois. C’était évident pour moi, je me suis dit : « Si je fais ce film je dois être aussi authentique que possible ». Mais je vais vous dire, c’est beaucoup plus facile de perdre du poids à 27 ans qu’à 42 !
Comment vous avez préparé ce rôle ?
J’ai fait un régime riche en glucides et en sucres : en gros je buvais des sodas toute la journée. J’ai pris plus de poids pour ce film que pour ‘Monster’, et c’est peut-être parce que j’étais beaucoup plus jeune, mais je n’avais jamais été confrontée à la dépression, et ça a été le cas ici.
Ah bon ? A cause de…
Du sucre, de la prise de poids. Je ne me sentais pas bien, durant tout le tournage, et je ne m’y attendais pas. Et étrangement c’était un beau cadeau pour le rôle, parce que la dépression post-partum, on ne s’y attend pas non plus. Donc j’ai pris 20 kilos, je portais le faux ventre, qui pesait genre 15 kilos, ou le bébé toute la journée, et puis je rentrais chez moi voir mon enfant d’un an, qui me montait dessus aussi. Et dans tout ça, j’ai eu une hernie discale ! Je peux vous dire qu’à la fin du tournage, j’étais littéralement dans l’état où on me voit dans le film, cette scène où je regarde la télé l’air hagard, avec mon bide qui pend !

Est-ce que ça vous renforce, de montrer ce côté moins ‘reluisant’ de la maternité, en particulier quand vous avez été célébrée pour votre beauté ?
Je ne sais pas, je me dis juste que c’est mon boulot. Et comme j’aime mon boulot, j’essaye de le faire du mieux que je peux. Toutes ces choses sont des éléments qui, mis ensemble, deviennent la performance. Et cette merde n’est pas facile, il ne suffit pas juste de se pointer sur le plateau et le faire, ça prend des mois de préparation, physique et mentale, pour rentrer dans le personnage. Et à ce stade-là, je ne pense pas à moi du tout. Il n’y a pas une partie de moi qui se dit « Oh mon Dieu je suis grosse », non, je suis dans le personnage, je suis cette femme. Et puis quand le tournage est terminé, et que tu rentres chez toi, c’est là que tu te dis : « Oh, Jesus ! » (rires)
Comment s’est passé la fin du tournage ?
On a terminé le film juste avant Thanksgiving, donc je me suis dit, OK, je me laisse jusqu’à la période des fêtes… et le 27 décembre, quand mon entraîneur a sonné à la porte, je crois que c’était le matin le plus démoralisant de ma vie (rires). J’ai fait super attention pendant 6 mois, et mon corps n’a pas vraiment changé. Je me suis dit : « Suis-je en train de mourir ? » J’ai appelé mon médecin : « Quelque chose cloche, je fais super attention, je ne triche pas, je fais du sport… – … Et tu as 42 ans, Charlize’. » J’étais genre : « Fuck you ! » (Rires). Au final, ça m’a pris 1 an et demi pour revenir à mon corps d’avant.
‘Tully’ parle aussi de lâcher prise de sa jeunesse. Vous avez fait Monster à 26 ans, l’âge de Tully dans le film. Si la Charlize de 26 ans était devant vous, que lui diriez-vous, et que pensez vous qu’elle vous dirait ?
J’ai le sentiment que ma vingtaine est passée très vite, j’avais toujours l’impression de manquer de temps. Et une fois arrivée à 30 ans j’ai réalisé que je n’avais pas besoin d’être aussi pressée. J’aurais aimé savoir ça à 20 ans. Que quelqu’un me l’ait dit. Et j’aurais aimé que mon moi de 26 ans dise à mon moi de 42 ans : « Meuf, ça va prendre un an et demi pour que ton corps redevienne comme avant » (rires) !
Votre personnage a cette phrase dans le film : « Les filles ne guérissent pas vraiment. Quand tu regardes de près, c’est juste beaucoup d’anticernes ». Qu’en pensez-vous ?
Les circonstances de Marlo sont différentes des miennes, donc je ne pense pas exactement ça, mais je réalise que c’est le cas, justement, parce que mes circonstances ont été différentes. Si je vivais la vie de Marlo, je pense que je dirais effectivement ça. Elle parle d’elle quand elle dit ça. Mais c’est vrai que dans une certaine mesure, je pense effectivement que, si l’on suit uniquement les façons acceptables de guérir, est-ce vraiment guérir ?
C’est-à-dire ?
Je parle de la pression sociale, de comment on est censées gérer certaines choses. On attend de vous que vous guérissiez d’une certaine façon, selon certaines règles, acceptables par la société. Du coup une partie de moi se demande si c’est vraiment une guérison. Parce que du coup on n’est toujours pas honnête avec soi-même. Je pense que c’est une question compliquée. I don’t fucking know (rires).
NB – Certaines discussions suite à l’article m’ont fait remarquer que, bien que l’interview aborde également le rapport de l’actrice à son corps comme outil de travail, la formulation des questions autour de la prise et perte de poids de Charlize Theron lie le fait d’être en surpoids à celui d’être « moins jolie », et le fait de perdre « tout ce poids » à l’idée d’un « retour à la minceur/beauté/normale. » Consciemment ou non, ce sont des automatismes dont la plupart d’entre nous (et nous étions plusieurs autour de la table) avons du mal à nous débarrasser. Et surtout à Hollywood, un milieu dans lequel Charlize Theron et ses consorts sont prié(e)s d’avoir un physique ‘conforme’ si ielles veulent continuer à travailler. Voilà pour la piqûre de rappel sur nos standards de beauté intériorisés 🙂
Notre avis
Avec un quotidien bien rempli entre son fils, sa fille, le boulot et son mari, Marlo (Charlize Theron) n’avait pas prévu d’avoir un troisième enfant. Mais la vie est pleine de surprises, et voilà qu’à 40 ans Marlo replonge dans le monde merveilleux de la maternité : les nuits sans sommeil, les couches, le lait, le vomi à nettoyer… Voyant sa sœur au bord du burn-out, son frère offre de lui payer une night nanny : une nounou qui vient exclusivement la nuit, permettant aux parents de se reposer. Vraie bonne idée ou arnaque du siècle ? Marlo se méfie, mais tout change quand Tully (Mackenzie Davis) entre dans sa vie. Le duo Diablo Cody (scénario) – Jason Reitman (réalisation) nous avait déjà offert ‘Juno’ (2007) et ‘Young Adult’ (2011), des comédies dramatiques à l’humour caustique sur les affres de l’âge adulte. Le duo signe ici un troisième opus tout aussi réussi – si pas plus, dans la même lignée. À travers les splendeurs et misères de la maternité, ‘Tully’ parle aussi de l’ado qu’on laisse derrière soi, des choix qui déterminent notre vie, et de la place des hommes dans l’éducation des enfants. Charlize Theron est saisissante dans ce rôle brut de décoffrage, qui déconstruit l’image de la mère parfaite à coups de répliques bien senties. Un film sensible, drôle et dur à la fois.