Première parution : L’Avenir, 18 octobre 2019
Equivalent algérois de ‘Lolita’, ‘Papicha’ de Mounia Meddour revient sur une période sombre du pays à travers le regard d’une jeune femme qui défend sa liberté. Rencontre.
On s’appelait depuis un fixe, on portait un walkman, et à la télé ça parlait de Sarajevo… Vos années 90, vous vous en souvenez ? Mounia Meddour s’en rappelle bien : en Algérie, on a appelé ça ‘la décennie noire’. Cette période sombre de son pays, encore mal connue ici, elle a choisi d’y revenir dans son joli premier film ‘Papicha’. L’histoire de Nedjma, étudiante qui voit ses rêves peu à peu étouffés par la situation sociale qui se dégrade, c’est aussi la sienne. « C’est arrivé grosso modo suite à l’annulation par l’Etat d’élections auxquelles le parti Islamique était donné gagnant. On a eu cette montée de l’intégrisme, les assassinats de journalistes, la propagande pour le voile intégral… » se souvient la réalisatrice. Sa famille finira par fuir en France. Dans le film, Nedjma veut rester. « C’est un hommage à tous ces gens qui se sont battus, ces femmes qui ont donné leur vie pour leur liberté. »
Autre contexte, mêmes combats
La liberté, c’est bien de cela dont il est question dans ‘Papicha’. Ce n’est pas un hasard si Nedjma veut devenir styliste : le contrôle des femmes passe souvent par leur corps, qu’il soit couvert d’un bikini ou d’une burqa. Les injonctions à se dévêtir ou se couvrir, selon la tendance locale, sont la même privation de liberté. Meddour abonde : « Je suis pour la liberté de le mettre, ou pas. C’est pour ça qu’il y a dans le film le personnage très important et positif de Samira, avec son hijab coloré – aux antipodes du voile noir intégral de la propagande intégriste. A Londres par exemple, on peut très bien le mettre [pour travailler ou aller à l’école, contrairement à la France – en Belgique la législation permet des exceptions, NDLR]. Quelqu’un qui décide de porter un voile, si ça lui permet d’avoir sa propre liberté, ça ne me choque pas. »
En voile ou en Wonderbra, même combat : pour Meddour, féministe et musulmane ne sont pas incompatibles. C’est l’époque et la forme de la lutte qui changent, mais pas le fond. « Par exemple, tous les vendredis en Algérie depuis le 22 février, les femmes sont dans la rue. » Pas que les femmes d’ailleurs : baptisée la ‘révolution du sourire’, ce mouvement populaire qui agite le pays entier, a poussé à la démission le président vieillissant Bouteflika en avril dernier. « Aujourd’hui les féministes algériennes réclament une réforme du code de la famille, qui ne permet pas encore l’égalité. » Le sourire a chassé les années noires, et le combat continue. Au cinéma comme dans la rue.
Papicha, de Mounia Meddour. Avec Lyna Khoudri, Shirine Boutella… Durée : 1h46. En salles depuis mercredi.