« Être gentil, c’était un exercice ! » Vincent Cassel et Olivier Nakache à propos de ‘Hors Normes’

Texte intégral d’une interview de Vincent Cassel pour Metro Belgique le 26 octobre 2019.

 

(NB – l’interview était une ‘table ronde’ toutes les questions ne sont donc pas de moi)

‘Hors Normes’ raconte deux parcours inspirés d’histoires vraies : d’une part d’une association s’occupant de personnes autistes, dont le responsable, Stéphane, est incarné par Vincent Cassel, et de l’autre d’une association qui s’occupe de jeunes en réinsertion, dont le responsable, Daoud, est interprété par Reda Kateb. Vincent Cassel, dans le dossier de presse vous dites qu’à un moment vous avez mis votre ‘côté pleurnicheur de côté’ ?
Vincent Cassel : C’est très facile d’être ému quand vous êtes entouré d’enfants autistes. C’est vraiment déstabilisant. Ils viennent vers vous, ils ne vous parlent pas, ou soudain viennent se coller tout près de vous… ils n’ont pas de filtre, quoi. Dans la vie, on est polis, on ne dit pas aux gens ce qu’on pense vraiment. Les personnes autistes, elles vous le disent disent. Comme des enfants, quoi. Et en plus certaines des personnes du film sont en réalité – discernlooking people (?) mais avec des enfants, c’est vraiment dur. Quand vous avez des enfants de 6 ou 7 ans qui grincent des dents, ou incapables de marcher… au début, ça vous brise le coeur, vous traversez plein d’émotions, la pitié, vous n’avez pas la distance, donc tout devient émotionnel, mais ça ne sert à rien. C’est pour ça que je voulais passer autant de temps que possible avec eux, pour m’y habituer, et avoir la bonne distance, celle qu’ont les gens qui travaillent avec eux chaque jour. Ce n’est pas qu’ils ont arrêté de ressentir des émotions, qu’ils s’en fichent, mais ils savent comment gérer leur émotion et la transformer en quelque chose.

Combien a duré la préparation en amont ?
C : On a préparé pendant environ 2 mois, 2 ou 3 fois par semaine, emmener les enfants au théâtre, ou voir les chevaux, bref passer du temps avec eux.

Donc après quelques semaines c’était naturel ?
C : Oui – enfin… disons qu’après quelques semaines j’arrivais à faire semblant que ça l’était (rires).

Le personnage de Joseph est inspiré d’une vraie personne, à laquelle le film est dédié…
Eric Toledano : Il s’appelle Johann Bouganim, et c’est la personne qui est au cœur de Stéphane et Daoud, c’est la première personne que Stéphane a accepté de prendre en charge dans sa colonie de vacances pendant 3 semaines, alors qu’il n’avait aucune idée de ce qu’est l’autisme. Après ces 3 semaines, sa vie avait changé. Il a vu les petites évolutions, et il s’est dit OK, il s’est passé qqchose. Le médecin qui s’occupait de Johann, qui est à ce jour toujours le médecin référent des 2 associations, a dit : ‘maintenant que t’en a pris un, faut que t’en prennes deux’. Et puis trois… c’est comme ça que ça a commencé. Le premier référent de Johann, ça a été Daoud, joué par Reda Kateb.

Il est décédé récemment apparemment ?
T : Oui il y a deux ans, dans les bras de Stéphane, en colonie de vacances. Donc c’est vrai que c’est une histoire assez émouvante, et ça a fait partie aussi des déclics qu’on a eus pour faire ce film, pour nous conforter aussi dans l’idée de mener à bout ce projet. Et enfin, la dernière institution où a travaillé Johann Bouhganim c’est ‘Turbulences’,l’ESAT (Etablissement de Service d’Aide par le Travail) où travaille… Joseph !

Comment c’était de travailler avec Joseph ?
C : C’était… Ben j’étais un peu inquiet au début parce que je ne le connaissais pas, forcément. Je ne savais pas comment j’allais jouer avec lui, en fait, tout simplement. Est-ce que ça va être compliqué ? Est-ce qu’on va devoir faire des trucs où je joue tout seul, et puis… Et en fait non, ce qui s’est passé c’est que dès le premier jour j’ai vu une chose qui m’a extrêmement rassuré : il était heureux d’être là. Il prenait du plaisir à le faire. Ca lui plaisait, ce truc. Il se remettait à sa place, il était toujours partant pour recommencer… Une fois qu’on a vu ça, on s’est dit on est sauvés. Sinon on aurait pu carrément dépasser de plusieurs semaines, si ça avait été un problème. Il se sentait bien, il se sentait aimé, on ne lui imposait pas des rythmes trop violents pour lui… Et surtout, ils lui présentaient toujours tout sous l’aspect ludique. Du coup, je pense que même si on le voyait rarement sourire parce qu’il n’exprimait pas ses émotions comme ça, on voyait qu’il avait une excitation à être là. Quand il en avait marre, il disait : « le, le, le temps file ! ». Et là on savait qu’il fallait qu’on arrête (rires). Vous savez tout ça c’est des bouts de ficelle. On tricote, et à la fin il faut que ça ait l’air homogène.

Il pose vraiment la tête sur l’épaule des gens ?
T : Ça c’est à lui oui.
C : Il le fait tout le temps. Quand il est content, par exemple…C’est sa manière de manifester son affection.
T : Au fur et à mesure du tournage, il a mis sa tête sur toutes les épaules de l’équipe ! C’est un signe qu’il se sentait bien.
C : C’est comme un enfant. Un enfant qui ne parle pas, mais qui pense beaucoup.

Le film a parfois un aspect documentaire, avec ses acteurs non-professionnels. La plupart de ce genre de films n’ont pas de ‘stars’ comme ça. Pourquoi ce mélange non-pros et stars ?
T : On voulait ce mélange, parce qu’on avait déjà fait un documentaire sur eux. Donc on voulait faire un film de fiction cette fois-ci, et pour nous il n’y a que 2 acteurs : Vincent et Reda. Donc on les a appelés.
C : Il y a d’autres acteurs pros dedans…
T : Oui, mais les principaux, pour nous, c’était ces 2 gars. On aime le cinéma et on voulait faire un film pour le cinéma, pas un documentaire. Donc c’est un mélange entre la réalité et la fiction, entre des acteurs pro et des non-acteurs. C’est un chaos (rires).

Est-ce plus difficile de bosser ainsi ?
C : Je ne sais pas… C’est surprenant, plein d’accidents tout le temps, mais quand vous faites un film vous recherchez ça aussi. Un moment vrai, authentique, pas mis en scène, où la réalité jaillit. Vous savez, à partir du moment où vous mettez la caméra devant une personne autiste, c’est un documentaire. Parce qu’elle ne fera pas ce que vous lui demanderez de faire. Donc c’est la réalité. Et je pense que ça brouille les pistes pour le public, à un moment on ne sait plus ce qu’on est en train de regarder. « Est-ce un documentaire ? Mais je connais ce type, il a joué dans un autre film. Mais lui c’est un vrai autiste ». C’est ce mélange qui rend le film si divertissant à suivre.

Après tant d’années dans le métier, est-ce difficile de vous surprendre avec des rôles ?
C : (réfléchit) Pas forcément non, ça dépend, si c’est un bon film, c’est toujours excitant. Ce qui est ennuyeux c’est de faire quelque chose qu’on a déjà fait, où on sait à quoi ça va ressembler, et on le fait pour l’argent. On n’aura pas de surprise, mais on le savait. Mais si avec un sujet complexe comme ici, c’est super excitant, c’est une véritable aventure. En théorie, on ne devrait s’engager que sur des projets comme ça. Mais ça voudrait dire qu’on ne travaille pas trop (rires).

En tout, préparation, tournage etc, combien de temps avez-vous été impliqué ?
C : La première fois qu’ils m’en ont parlé, ils n’avaient pas encore de scénario. C’était il y a environ 2 ans. Ça leur a pris 1 an de terminer le scénario et pour nous préparer etc. Mais Reda et moi, on a dit oui avant de lire le scénario. Donc tout le processus était déjà enclenché… Ça a pris 2 ans en tout, mais pas à plein temps. Enfin, pour eux si (rires). Mais pendant ce temps de préparation, Reda et moi on faisait autre chose…

Vous n’avez pas peur d’explorer des rôles variés. Vous n’avez pas l’air de vous soucier de ce que la presse écrit sur vous… vous lisez la presse ?
C : Si, je lis tout, ça m’intéresse beaucoup de savoir ce que les gens pensent de mon travail. Mais l’avis des autres, ça ne me définit pas. Je lis tout, je dors dessus, et je retiens ce dont j’ai besoin. J’ai toujours eu ce feeling, depuis le début : si tu fais quelque chose qui te passionne, peut-être pas tout le monde ne le comprendra directement, mais fais-toi confiance et ça viendra. Et j’ai vraiment prouvé ça, je pense, avec Irréversible : quand c’est sorti, les gens hurlaient que c’était une honte, un scandale… Et le mois dernier quand il a été re-présenté (nouvelle version NDLR) à la Mostra de Venise, tout le monde était là « oh my God, quel chef d’œuvre » (rires) ! Donc parfois, il faut juste un peu de temps… 17 ans plus tard, le scandale est passé, le film est resté. On l’enseigne dans des écoles de cinéma et tout donc… Que puis-je dire ? Vous trouvez toujours que c’est un mauvais film ? Alors les gens sont stupides, j’imagine… (rires). J’ai quelques exemples comme ça, donc vraiment je pense que ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est : fais ce qui te plaît, à toi. Et si c’est différent, et que c’est spécial… on voit tellement de choses de nos jours. Tellement d’images, par différents écrans. Le simple fait que les gens retiennent ton nom, c’est déjà énorme pour moi. Faire des trucs que les gens n’oublieront pas, c’est ça pour moi la vraie récompense. Même s’ils ne le comprennent pas au début, ce n’est pas grave.

S’il y avait une chose sur vous que vous aimeriez dire aux gens ce serait quoi ?
C : Je ne sais pas… Allez voir mon Instagram (rires) ! Là je poste ce que je veux que les gens sachent de moi. Ce que j’aime, ce qui m’émeut… le reste, ça me regarde.

C’est pour ça que vous êtes sur Instagram, pour partager directement avec les gens ?
C : Honnêtement ? J’ai lancé mon compte pour lever des fonds pour un festival. C’est complètement un projet commercial à la base. J’ai réalisé que plus vous avez de followers, plus votre voix a une portée, et vous pouvez changer des choses pour de vrai. Désolé de dire ça, mais vous pouvez vous débarrasser de la presse (rires) ! Vous devenez votre propre presse, vous donnez l’information que vous voulez communiquer directement. Vous êtes la source de l’info !

Un sujet fort dans le film c’est la désobéissance : votre personnage « contourne » les règles parfois. Cela pose la question de comment on fait avec les outils qu’on a…
T : Il ne les contourne pas, il avance selon ses méthodes à lui peu importe les règles. Il ne se dit pas, ah ok, ça c’est les règles, je vais les contourner. Pour lui, il trouve les meilleures méthodes pour s’occuper de ces enfants. Il se trouve que ces méthodes ne correspondent pas au cadre, mais des fois le cadre il faut le pousser, le dépasser, pour le redéfinir. Et surtout dans cet interstice-là, où c’est un trou noir.

J’ai l’impression que ce thème de la désobéissance (civile) s’étend aussi à d’autres sphères, comme on le voit dernièrement avec les Gilets Jaunes ou Extinction Rébellion qui occupent des centres commerciaux…
T : la désobéissance civile c’est sain pour une société. Sauf quand elle est négative. On a eu tout un mouvement en France, avec les Gilets Jaunes, et ces images de guerre, qui viennent peut-être d’une colère, la société française a été ébranlée par des attentats, ça a provoqué beaucoup de blessures, de souffrances, c’est peut-être ressorti avec ce mouvement des Gilets Jaunes, la société en ce moment va mal…

Du coup les Gilets Jaunes pour vous c’était de la désobéissance civile négative ou positive ?
T : Ben ça a commencé par du positif parce que c’est un vrai élan populaire qui montre une exaspération, et ils ont raison. Mais après quand on voit 1000 personnes qui défoncent des magasins dans la rue, j’appelle pas ça de la désobéissance positive, ça va pas servir leur cause…
C : Tout est instrumentalisé, attention, y a tellement de gens qui participent à ça. Moi je trouve ça très bien la désobéissance, et je trouve que les Gilets Jaunes c’est un mouvement 100% français dont je suis très fier. C’est un vrai mouvement populaire hyper-important, qui doit être valorisé. Même s’il a été instrumentalisé et récupéré…

En parlant de la nouvelle version de ‘Irréversible’ : après tout ce temps, ce n’est pas étrange de revoir ces images ?
C : (inspire) Non, je pense que j’ai la bonne distance. Même si, si on parle du film en particulier, je ne pourrais pas le revoir. Je crois que j’étais bien plus wild il y a 17 ans. Aujourd’hui, j’ai du mal à regarder des scènes violentes. ‘Orange Mécanique’ par exemple, je n’y arrive plus. J’ai même du mal avec les meurtres dans les films ! Je me sens mal…. Je crois que je suis guéri, docteur (rires).

Pour le coup, était-ce facile de jouer quelqu’un qui n’est pas à l’aise avec les femmes, comme votre personnage dans ‘Hors Normes’ ?
C : C’était un soulagement (rires) ! Mais mon instinct naturel est de confronter les choses tout le temps, et derrière la caméra ils me disaient : « gentil Vincent, n’oublie pas que t’es gentil ! » C’était un exercice d’être gentil ! Mais parce que ça me connecte à une autre partie de moi-même, en fait. Et on dirait que ça marche.

Quand ‘Intouchable’ a été adapté aux Etats-Unis (sous le titre ‘The Upside’), il y a eu un débat sur le fait qu’un acteur handicapé aurait dû avoir le rôle, au lieu de Bryan Cranston. Qu’en pensez-vous ?
C : (rires). This is America. [comme dirait] Childish Gambino.

Vous avez vu ce remake ?
C : Oui.

Et ?
V : C’est le même, mais en plastique.
T : Je vais vous dire un truc, juste parce qu’on est en famille (rires). A l’époque de l’écriture du scénario de ‘Intouchables’, on avait supprimé certaines scènes en se disant « Nan, ça fait trop américain ». Et croyez-le ou non, mais quand on a vu le remake, ces scènes étaient dedans !
C : Je ne sais pas si c’était trop américain, mais c’était américain, ça c’est clair. Non en fait plutôt hollywoodien en fait, parce que les Américains font aussi des bons films indépendants…
T : L’autre truc, aussi qui reste entre nous, c’est qu’on pensait peut-être en faire un remake.
C : De quoi ?
T : De l’américain (rires) !

J’ai lu dans le dossier de presse que le scénario a du être validé par des médecins psychiatres, dans quel sens ?
T : En gros, Stéphane et Daoud ont tous les 2 un homme au-dessus d’eux qui est médecin-psychiatre et qui les a poussés à faire ça depuis tant d’années, et c’est vrai que c’est leur référent en termes de psychiatrie. Et c’est vrai que dans tout ce qu’ils font, ils ont souvent besoin de son aval. Et là, vous vous rendez compte, il valide toute les images qui sortent des 2 associations. Donc le scénario aussi, et je peux vous dire que Moïse Assouline quand il a vu le film, il nous a serrés dans ses bras et il nous a dit : « Je vous défendrai corps et âme ». Parce que l’autisme c’est quand même très conflictuel, y a beaucoup de chapelles… et il a dit « Je serai votre homme pour aller au combat » et on a été vraiment rassurés. Il a apporté des petites nuances de sémantique, de mots dans le scénario.
C : En fait il a aidé plus que validé.
T : On l’appelait sur des mots, est-ce qu’on dit ça, ou ça, « troubles autistiques sévères »… Et d’ailleurs celle qui joue la Dr Roncin dans l’USIDATU, elle a fait des entretiens avec Moïse Assouline.

Vincent, il paraît que vous deviez tourner avec Cronenberg ? C’est toujours d’actualité ?
C : Ah non, on ne l’a jamais fait au final. Je ne sais pas. Ce n’est pas dans les tubes.

Pour le coup, on a la source directe (rires) !
C : Ça fait longtemps qu’on a ce projet, je ne sais pas si ça se réalisera.

Pourriez-vous imaginer un remake de ce film-ci ?
C : Alors là, bonne chance. J’y ai pensé en fait : s’ils veulent le refaire correctement, ils devront de nouveau impliquer des enfants autistes, etc, donc… en faire un film hollywoodien, ça sera difficile ! Ou alors ils remplacent tous les acteurs autistes par … des vrais acteurs. Noirs et gay, comme ça tout le monde est content.

Hors normes, notre avis

Il aura fallu 12 ans et six films, pour qu’Éric Toledano et Olivier Nakache réalisent ‘le film qui leur a donné envie de faire du cinéma’. Et c’est vrai que ‘Hors Normes’ est un concentré de leurs obsessions de ciné: les dynamiques de groupe (‘Tellement proches’, ‘Le Sens de la Fête’), l’enfance (‘Nos jours heureux’), le handicap (‘Intouchables’, ses 50 millions d’entrées partout dans le monde, son remake US). Ce nouvel opus raconte l’histoire (vraie) de deux hommes, et de leur travail auprès des enfants autistes via leurs associations respectives. Un job d’une dévotion totale, sans horaires, et souvent sans budget, qui se retrouve soudain menacé de fermeture. Mais sans Bruno et Malik et leurs solutions miracles (certes parfois aux limites du légal), qui s’occupera de ces enfants dont même l’État ne veut pas? En mêlant des stars de la fiction (le duo Vincent Cassel- Reda Kateb fonctionne à merveille) et la magie du réel (avec des acteurs autistes), le duo perfectionne sa formule du feelgood movie frenchy: celui qui fait rigoler et sortir les mouchoirs à la fois.

Vincent Cassel dans Hors Normes - Carole Bethuel
Vincent Cassel dans Hors Normes – Cinéart/Carole Bethuel

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