Texte intégral de l’interview parue dans Metro Belgique le 30 novembre 2019
Pigiste à l’ORTF, commentateur sportif sur TF1, il a fréquenté les monstres sacrés de la télé française comme Guy Lux, Yves Mourousi ou Thierry Roland. Mais il fut surtout le visage du Grand Journal de Canal+ de 2004 à 2013. Journaliste, animateur et producteur depuis plus de 40 ans, Michel Denisot signe à 74 ans son premier film, ‘Toute Ressemblance…’. Une comédie déjantée menée par Franck Dubosc sur les coulisses de la télé, qui confirme que le show-business est une drogue dure: difficile à arrêter.
Qu’est-ce que ça vous fait d’être de l’autre côté, c’est à votre tour de répondre aux mêmes questions… ?
Ce ne sont pas toujours les mêmes questions, parce que tout le monde ne voit pas la même chose dans un film. Je me rends compte que j’ai fait un film que je pensais tel et tel, et en fait ce qui intéresse les gens, ce qu’ils vont retenir, ce n’est pas forcément ce que je pense. C’est ça qui est intéressant. Donc parfois c’est les mêmes questions, mais pas toujours.
Quelle question revient le plus souvent ? Qui est caché derrière telle anecdote ?
Oui, le « c’est qui » ! Ce à quoi je réponds toujours cette phrase de Boris Vian qui est au début du film : « tout est vrai puisque je l’ai inventé » : ça résume bien ma pensée, la façon dont j’ai travaillé. C’est la réalité, mais ce n’est pas un documentaire, on est dans la fiction, donc je joue avec ça. Mais je ne joue qu’avec des choses qui sont vraies. Je m’amuse avec ça pour montrer l’envers de ce monde de la télé, qu’ils ont vu pendant longtemps et qui est en train de s’effilocher.
La fiction c’est parfois plus facile pour raconter une réalité.
Oui, c’est ce luxe-là qu’offre la fiction au cinéma. Finalement, on ne joue pas avec la vérité : on s’en sert pour pouvoir créer une histoire avec beaucoup de liberté. Quand on relate, on est dans un cadre rigoureux, comme celui du journalisme, que j’ai exercé. On est là pour raconter la vérité. Moi je suis là pour raconter ma vérité, mais en y ajoutant un peu de fantaisie. Je mélange des histoires pour en faire une.
Avant ce film vous n’aviez jamais eu l’envie de vous lancer ?
Non, c’est arrivé à un moment de ma vie où c’était tout à fait imprévu…
Peut-être un moment où vous aviez aussi plus de temps…
Oui oui, et ça m’a pris beaucoup de temps. Depuis 3 ans et demi, j’avais quasiment arrêté la télé, ou quasiment, je faisais des émissions mensuelles. Et puis je suis à Vanity Fair… Donc j’avais du temps pour le faire, bien sûr. Ça tombait bien. Je n’aurais pas pu faire ce film plus tôt, en tout cas, c’est sûr.
Vous étiez confiant, le premier jour du tournage, ou plutôt angoissé ?
J’y suis allé avec une forme d’inconscience, aussi, pas toujours me rendre compte de ce qui m’attendait. Et c’est ce que j’aime dans la vie. Et être bien entouré. Ça s’est bien passé je ne peux pas dire autrement. L’écriture s’est bien passée, après quand j’ai écrit le film avec Karin Angéli, je me disais bon, ce n’est pas mon métier, donc j’étais assez détendu. Pas comme quelqu’un qui doit absolument réussir pour avoir du boulot, quoi. Donc je l’ai fait avec une certaine… assez détendu. Avec beaucoup de plaisir et d’application, j’étais à l’écoute, etc, il faut changer, refaire, d’accord. Et après vient le tournage, bon.
Ça ressemblait à ce que vous aviez en tête ?
Ben… c’est beaucoup mieux que ce que j’imaginais ! Enfin, je ne parle pas du film, je parle de le faire. C’est une expérience au-delà de ce que je pensais. Le tournage, c’est un plaisir dont je ne mesurais pas l’ampleur.
Est-ce que faire ce film vous a appris des choses sur vous-même ?
Oui, inconsciemment. C’est vrai que c’est pas du tout mon histoire, mais les gens qui me connaissent et l’ont vu m’ont dit : « ça te ressemble ». Je n’ai pas fait le 20 heures, je suis marié depuis 45 ans, je ne prends pas de drogues… il y a plein de choses où c’est pas moi. Mais le ton, ouais, c’est moi. Dans un film, tout compte, après ça dépend ce à quoi on porte l’attention, certains c’est la musique… et par exemple la musique c’est moi à 100%, les gens qui me connaissent savent que ce sont mes goûts.
Certaines phrases sont de vous aussi, comme le ‘concours de circonstances’.
Oui, voilà, des choses comme ça. Donc je joue avec ça un peu, et ça me ressemble, mais ce n’est pas mon histoire. Forcément, dans toute première œuvre, c’est un mot pompeux, mais quand on fait un bouquin, on y met beaucoup de soi qu’on le veuille ou non. Moi j’ai voulu qu’il n’y ait rien de moi, mais forcément c’est impossible…
Ce n’est juste pas forcément là où on l’attend. C’est vous parce que c’est votre façon de le raconter.
C’est là où c’est moi, oui.
Les choix, certaines obsessions… Ce qui vous a intéressé…
Ouais, et puis j’aime aussi faire valser les étiquettes, je n’aime pas quand les gens sont enfermés dans un truc, je me suis rendu compte au fur et à mesure que plus ça allait, plus je connaissais plus je faisais des interviews, plus il fallait gommer ses a priori et qu’on avait tout à y gagner. Et donc faire jouer Franck Dubosc avec Denis Podalydès, j’adore ça par exemple. Et ils ont adoré tous les deux jouer ensemble.
Vous mélangez aussi les genres dans votre parcours professionnel : journaliste, entraîneur de foot… c’est plus compliqué de diriger des acteurs ou des footballeurs ?
Ben les acteurs, c’est de moi (rires). Donc je n’ai pas eu de problème avec les acteurs, ça vraiment. Mais j’avais appris à diriger des gens… habitués à penser à eux, qui ont leur ego, leur talent, et doivent le partager pour éventuellement être mis encore plus en évidence, mais à commencer pour être généreux. Et bon, c’est l’histoire des Beatles, de tous les groupes ! J’ai connu ça dans le foot, c’est 11 solistes pour faire un orchestre. Et là dans le cinéma j’ai eu mais alors aucun problème d’ego.
Ça paraît presque étonnant. On comprend que pour ces métiers de l’image, le paraître est toujours en avant, donc c’est un monde où l’ego est important, on le voit bien dans le film aussi.
Oui. Mais Frank est quelqu’un qui bosse beaucoup, et qui est très exigeant avec lui-même. Il s’entendait bien avec Jérôme, et tout s’est très bien passé avec tout le monde. Mais c’est vrai que les acteurs… Vincent Cassel m’a dit un jour cette phrase que je trouve très juste : « il n’y a pas d’acteurs, il n’y a que des actrices. » Je me rends compte que les acteurs sont tout aussi soucieux, si ce n’est plus, de leur apparence, que les actrices. Mais c’est normal ! Il ne faut pas croire que l’acteur qui arrive sur un plateau n’en a rien à faire de sa coiffure, pendant que l’actrice se fait pomponner pendant 3 heures : c’est pareil ! Et c’est normal !
Il y a cette idée admise qu’un homme ne devrait pas faire attention à son apparence…
Mais c’est faux.
D’ailleurs on le voit bien dans votre film avec Cédric Saint-Guérande et ses injections de Botox. Est-ce que cette rivalité, ces coups bas qui permettent à CSG de se hisser au sommet mais aussi de s’y maintenir, selon vous il faut faire avec, il faut savoir en jouer pour se maintenir aussi longtemps ?
Oui, bien sûr. Forcément, il n’y a qu’un trône pour le 20 heures ! C’est un poste, n’y en a pas 36, et d’autres gens le veulent, évidemment. Après, est-ce que c’est légitime… Est-ce que vous avez eu le vôtre en éliminant quelqu’un ? Ou… plus ou moins ? Ça arrive à tous, et un jour c’est son tour. Il faut protéger le territoire, absolument. D’abord en travaillant, en ayant du succès, de l’audience… et parfois ça ne suffit pas. Il faut en plus faire attention aux coups tordus qui peuvent arriver, on peut être embringué dans une mauvaise affaire, On chute très vite.
Et vous, vous considérez que vous avez bien joué le jeu médiatique ?
Mouais, enfin je n’ai pas toujours eu la main sur tout ce que je faisais, j’étais dépendant aussi des directions, etc. J’ai fait du surf, et parfois je ne maîtrisais pas la planche. Mais au fur et à mesure, on apprend. La clé, c’est réussir à deviner quand ça sent la fin. Pour partir avant qu’on ne vous le demande. Mais c’est très difficile, parce que c’est tellement bon (rires).
C’est quoi, c’est le regard des autres ?
Ben ouais, ben ouais. On croit qu’on est le roi du pétrole. On ne l’est pas, mais pour ne pas l’oublier il faut avoir la chance d’être bien entouré. Moi j’ai eu cette chance, dans ma famille on m’a souvent remis les pieds sur terre quand il fallait, et ça m’a sauvé. C’est pour ça que je ne suis pas devenu CSG.
Forcément, dans votre métier ça implique de fréquenter bcp de beau monde, du spectacle ou politique ou ailleurs, forcément tout le monde se connaît. Comment on évite le conflit d’intérêts, le manque d’objectivité journalistique ?
Ça ce n’est pas facile, oui. Il faut entretenir des bonnes relations, bien s’entendre avec tout le monde, pour avoir les contacts directs, court-circuiter les communicants, essayer de monter des coups directement. Je dis ça, mais moi je ne le faisais pas (rires). Je n’ai jamais invité quelqu’un de connu de chez moi depuis que je suis né !

Vous avez publié un livre d’entretiens avec Sarkozy par exemple, ça a pu vous poser un problème par la suite en termes de crédibilité journalistique, politique… ?
Alors, je suis très à l’aise avec ça, j’ai fait ça avant qu’il ne devienne Président, c’était au tout début, il était Ministre et moi j’étais au PSG. Il venait au PSG, il m’invite à déjeuner pour me remercier, comme d’autres m’invitaient quand on invite des gens. Et je découvre en face de moi un type qui me dit : « je serai Président de la République ». Donc je dis, mais je vais faire un bouquin avec vous, c’est incroyable ça, je n’ai jamais vu ça. J’ai fait un bouquin avec lui, on s’est vus pendant un certain temps, et puis voilà, après j’ai repris mon… je n’ai pas plus de relations avec lui qu’avec François Hollande ou… Charles de Gaulle (rires).
Mais ça peut être aussi recevoir un invité pour un film que vous avez détesté, ou des chroniqueurs où vous savez que ça va mal se passer, mais c’est un ami à vous donc c’est compliqué… ?
Oui mais dans ce genre de cas je n’interviens pas. J’ai eu des émissions avec Sarkozy au Grand Journal qui se sont très, très mal passées. C’est avec lui que j’ai eu les émissions les plus difficiles. Quand on fait une émission quotidienne, on ne reçoit pas que des gens qu’on n’aime. Et d’ailleurs ce n’est pas notre métier. Notre métier c’est interviewer les gens, et essayer de les interviewer tous de la même façon. Ce n’est pas facile, mais c’est ça qui intéressant.
Votre pire interview ?
Je ne veux pas être désagréable avec les gens, mais j’ai reçu Dorothée il y a très longtemps… (rires). Je voulais faire une interview d’elle (Frédérique Hoschedé NDLR), et elle refusait de sortir du personnage de Dorothée ! Toutes mes questions hors de Dorothée, elle me les renvoyait, pas moyen de les poser !
Une interview qui vous a touché particulièrement ?
(Réfléchit) oh y en a beaucoup, je ne sais pas laquelle dire aujourd’hui, ça dépend des jours, ce qui remonte à la surface… Je dirais Jacques Higelin et sa fille Izïa, chantant ensemble pour la première fois. C’était vers la fin du Grand Journal, et c’était un moment très émouvant. (le Grand Journal s’est arrêté en 2017, et Jacques Higelin est mort en 2018, NDLR). C’était très touchant quoi, un père et sa fille…
Un des pires moments de télé ?
(Réfléchit) Bah… C’était à Cannes, quand un type est arrivé avec un pistolet et une grenade. [En mai 2013, durant l’émission du Grand Journal délocalisé à Cannes pour le festival, un homme tire des balles factices sur le plateau, provoquant la panique et l’arrêt de l’émission, NDLR]. Après coup ils se sont avérés factices, mais sur le moment on ne le sait pas. Donc on se dit ‘Mais qu’est-ce que je fous là ?’ (Silence). Et voilà quoi. C’était avant les attentats, parce que sinon aujourd’hui le type serait mort. Je ne sais même pas pourquoi il a fait ça, je n’ai jamais eu de suite de ça, mais c’était un moment où… après, en dehors du fait que ça s’est bien terminé mais ça on ne le sait qu’après, c’est facile de fanfaronner après, mais sur le coup on a paniqué, j’étais enfermé avec Daniel Auteuil et toute l’équipe dans le grand local à côté, on est restés 10 minutes là-dedans, et… C’est là où j’ai dit ‘j’arrête’. Je vois des signes dans les choses : c’était ma neuvième année, je commençais à sentir que je n’avais plus le même appétit, ça commençait à s’émousser. Mais j’aimais tellement ça, il n’y avait que des avantages… Mais je me rendais compte que je commençais à compter : « lui ça fait 6 fois que je le reçois… » (rires). Donc je m’écoutais un peu parler, je sentais… qu’il fallait arrêter, quoi.
Vous avez pris la bonne décision, alors ?
Ah oui, oui.
En plus Canal est parti depuis…
Oui bon après c’est autre chose, mais oui, il fallait arrêter, quoi. Mais c’était pas facile : c’était bon (rires) !
Toute Ressemblance, notre avis
Le titre du film nous prévient d’emblée, mais impossible de ne pas chercher les ressemblances avec la vraie vie dans cette histoire sur les coulisses de la télé. Mensonges, coups bas, drogues, compliments: tout est inventé, mais tout est vrai. Pour son premier essai derrière la caméra, le journaliste et présentateur Michel Denisot brouille les pistes pour raconter l’histoire de CSG, alias Cédric Saint-Guérande (Franck Dubosc). Présentateur vedette du journal de 20h et très populaire auprès des Français, il n’évitera aucun sale coup quand le nouveau directeur de la chaîne tente de le remplacer. Sorte de ’99 francs’ version Paysage Audiovisuel Français, on ne retiendra pas de ‘Toute ressemblance’ son scénario, qui s’éparpille autour de son héros aussi charmant que salaud. Mais on ne lui demande pas tant. Niveau divertissement, le cahier des charges est largement rempli, grâce à un humour réparti entre comique de situation et répliques bien senties, mais aussi au défilé de stars et personnalités qui ont accepté de se prêter au jeu.