version intégrale de l'interview parue dans : Metro & L'Avenir, 09.11.2021
Le film a été reporté plusieurs fois, pandémie oblige, mais promis, l’attente en valait la chandelle. Dans ‘Aline’, Valérie Lemercier se glisse dans la peau de… Céline Dion. Un impressionnant vrai-faux biopic, et bien moins second degré qu’il n’y paraît… un peu comme elle, d’ailleurs.
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Votre film ne s’appelle pas Céline mais ‘Aline’ : changer le nom, ça vous donnait un espace de liberté ?
Valérie Lemercier : Ca me donnait la distance de pouvoir mentir. Sinon, si c’était Céline, on m’aurait dit des trucs du genre ‘Mais telle chose n’est pas vraiment arrivée. Le coup de la bague de fiançailles dans la glace, c’est pas vrai’. Ben c’est pas grave, si c’est Aline, c’est possible. Je pense que Céline n’est pas arrivée avec des patins à glace quand elle a rencontré René. Mais en même temps, je me dis que si c’était vrai, je comprends pourquoi maintenant elle a 10 000 paires de chaussures ! Parce qu’elle a des milliers de chaussures. Moi je le sais !
Sans rien savoir du film, on pourrait croire à une parodie… mais en fait c’est complètement premier degré ?
Mais moi je suis très premier degré. D’abord, je ne me sens pas obligée, quand je prends un taxi, de faire une blague. Je ne me sens pas obligée entre amis, si ça ne va pas, de raconter des histoires. Et partout, en France en tout cas, mais au Québec aussi, il y a eu beaucoup de moqueries déjà. Ca a été fait, la moquerie à son sujet, à leur sujet, et même parfois sur des sujets très embarrassants. Se moquer des fécondations in vitro qu’elle a pu faire… Je ne rentre pas là-dedans. Je n’ai pas passé 3 ans de ma vie à me moquer de quelqu’un que j’adore !
Comment avez-vous concilié le job d’actrice et réalisatrice dans un film si exigeant ?
C’est que les scènes de chant, de ‘stage’, de spectacle sur scène, je ne me suis occupée de rien : on m’a laissée chanter, je ne savais même pas comment c’était derrière moi. Et comme c’était un gros film, je ne me suis pas perdue dans les détails, ce que j’ai parfois l’erreur de faire. Là il fallait avancer, et parfois en 3 jours, on a fait toutes les scènes sur scène, fallait les faire. Donc je ne me suis pas retournée, et je me suis aperçue au montage que le rideau ne me plaisait pas… eh ben tant pis. Alors que sinon, j’aurais dit le rideau ne me plait pas, on va le changer, et tout refaire… Là j’ai pas eu le temps, et quelque part ça m’a aidée de ne pas avoir le temps. Comme le film était très gros, qu’on avait beaucoup de monde, de figurants… Je ne me suis pas perdue dans les détails. Et surtout, c’est une équipe avec laquelle pour la plupart j’ai déjà fait plusieurs films, donc ils m’ont aidée à de temps en temps, n’être que – comme René a aidé Céline à n’être que chanteuse, elle n’avait pas à s’occuper du reste, eh bien moi non plus, j’ai pu, au moment des chansons en tout cas, être que à ça, à 100%. Donc je n’avais pas de souci autre que de chanter.
Maintenant, à chaque fois qu’une nouvelle info circule sur elle, je la reçois 500 fois !
Vous créez une distance mais quand même, perso en tant qu’ex grande fan, c’est un vrai plaisir de retrouver tous ces éléments reconnaissables du parcours de Céline Dion. C’était important de mettre certaines choses ?
Oui, évidemment. D’abord il y a les chansons, qu’on connaît tous, et y a quelques tenues emblématiques dont je ne voulais pas passer à côté. J’allais pas faire une robe de mariée sans cette grosse tiare qu’elle a sur la tête, et que d’ailleurs elle a probablement vue sur Barbara Streisand quand elle était petite – je suis sûre qu’inconsciemment, elle était fan de Streisand, elle a vu ça dans un de ses films, elle a voulu le faire, c’est évident ! Elle a passé sa vie dans sa voiture, car elle ne pouvait pas aller dans les magasins, à découper des magazines et à… Même ses maisons ! Je suis sûre, je ne sais pas si c’est vrai, je ne lui ai pas demandé mais… Barbara Streisand elle est folle de décoration, elle a fait un livre de déco etc., je suis sûre que dans une de ces maisons au Québec… D’ailleurs y a une maison, elle est très copiée sur celle de Gianni Versace, la piscine c’est la même… Je pense qu’il y a plein de choses où elle s’est inspirée elle-même… Donc moi j’allais pas… Voilà donc après je m’amuse, je lui mets les ongles comme ça de Barbara Streisand, pour voilà, passer d’une scène à l’autre. Mais elle a été inspirée par beaucoup de gens, et si elle a fait la tiare de Barbara Streisand, moi aussi je la fais. Par contre, elle n’est pas sortie de sa maison par la fenêtre, je pense. Mais ça m’amusait que la porte soit trop petite pour la robe.

Vous êtes LA personne qui sait le plus de choses sur Céline Dion au monde désormais, on dirait ?
Oui, d’autant plus que maintenant, à chaque fois qu’une nouvelle info circule sur elle, je la reçois 500 fois ! Y a un jeune Anglais, ivre, qui a changé son nom dans la nuit sous l’effet de l’alcool et s’est fait appeler Céline Dion : je crois que j’ai cru 15 fois l’info sur mon téléphone… J’en ai marre (rires) !
Tourner à Las Vegas, c’était un rêve ou un cauchemar ?
C’était merveilleux parce qu’on est restés 2 jours, qu’il était 5 heures du matin, et que j’avais tellement froid, que je suis allée dans un casino, j’avais un billet de 20 dollars alors je l’ai mis dans la machine, et j’ai eu un ticket de 100 dollars ! Et après je devais être triste pour la scène, mais j’étais tellement contente d’avoir gagné que j’ai eu beaucoup de mal à être triste sur mon banc. C’était merveilleux d’être au petit matin à Las Vegas, j’avoue. Après, je n’ai pas passé tellement de temps dans les casinos etc, mais surtout, je sais qu’elle, elle n’a pas pu aller dehors. Parce qu’elle est trop connue. Moi quand j’arrive dans une ville, la première chose que je fais, c’est me lever à 5 heures comme souvent, et je vais au petit matin comment c’est dehors. Et ça, là-bas, j’ai pu le faire, ce que Céline n’a pas fait. Je lui ai aussi fait faire des choses qu’elle n’avait pas fait ! Comme parler à son mari alors qu’il n’est plus là. Je pense qu’elle lui parlait, mais là, on le voit.
Vos fans à vous comment ils sont, vous savez ?
Non. Une fois, je jouais au théâtre de Paris, et le samedi on joue deux fois, donc je suis sortie entre deux représentations pour réserver un restaurant, et en revenant, l’entrée des artistes étaient fermée, et je me suis retrouvée à rentrer par la porte principale, avec le public. J’étais très étonnée de les voir, parce que quand je joue, ils sont dans le noir, et je ne les vois pas. Je me suis dit « ils sont assez chic. » Mais ce que j’aime le plus, c’est me dire que sont réunies plusieurs générations, et aussi plusieurs milieux. Quelque part c’est ça qui me touche le plus. Après, je ne sais pas si j’ai des fans, en fait. Je n’ai personne qui m’attend devant chez moi… et heureusement !
Sûrement qu’ils sont timides comme vous et ne vous le disent pas.
Voilà.
Qui était votre star d’ado à vous qui vous fascinait ?
Ouais c’était bizarre mais Michel Simon, l’acteur.
Vous aviez des posters de lui dans votre chambre ?
Oui – et de chevaux. C’était mes idoles. Après plus tard, Patti Smith, très longtemps. Joan Baez et Patti Smith, c’est les deux premières chanteuses que j’ai aimées.
Céline n’a pas vu le film… Mais elle m’a laissée tout faire
Évidemment tout le monde vous demande et moi aussi je veux savoir : est-ce que Céline a vu le film ?
Non, elle ne l’a pas vu. Je voudrais qu’elle le voie avant mon décès ! Mais elle m’a laissé tout faire. Autour d’elle, on a lu, ils ont vu le ton du film, et ça se lit quand même dans le scénario, que l’idée n’était pas de se moquer. Après, quand on lit un scénario, on ne voit pas les regards, les choses comme ça, parce que c’est ça qui comptait pour moi : c’est le fait qu’elle chante pour lui, qu’il la regarde chanter, même quand il est malade, elle a besoin de ce regard-là. Donc ça, même si c’est écrit dans le film, c’est compliqué de le ressentir, donc évidemment c’est différent. Et puis aussi, au montage, peut-être que certains éléments de comédie se sont enlevés d’eux-mêmes, naturellement. Parce que voilà, c’est une histoire d’amour au fond. Vous savez, même moi, quand je montais le film, je n’arrivais pas à aller jusqu’à la mort de René, parce que je ne voulais pas qu’il meure. Je n’y arrivais pas. Et le jour où on a monté la scène, je suis rentrée chez moi et j’étais triste, je me suis dit ‘il n’est plus là’.

Un détail de taille : vous incarnez aussi Aline jeune. C’était beaucoup de travail technique ?
Pas tant. En gros, je jouais sur un fond vert, mes partenaires avaient une balle de tennis sur la tête, que je regardais, eux me regardaient ici (montre plus bas), on jouait… Vous savez, quand je joue toute seule sur scène, j’ai des partenaires imaginaires, qu’on entend. Mais même si on ne les entend pas, je ne suis pas seule, je suis toujours quelqu’un qui parle à quelqu’un d’autre. Donc quelque part, c’est pas difficile pour moi de faire abstraction de tout ça, c’est pas un problème du tout. J’ai l’habitude depuis que j’ai 23 ans de jouer des personnages qui parlent à des gens qui n’existent pas, donc je sais faire. C’était pas difficile. Après, eux, la difficulté c’est qu’au début, on a tâtonné. Au début je voyais la petite enfant qui était de dos, et j’essayais de lui ressembler. Mais le problème, c’est que c’est personne, c’est une petite fille qui est un peu trop petite, il faudrait qu’elle me ressemble, ou au pire à Céline, mais pas à elle-même… On a tâtonné, cherché, j’ai été beaucoup là pendant les sessions d’effets spéciaux, avec eux… Parce que c’est bête mais parfois c’est juste une manche plus courte qui fait que ça… Voilà c’est des histoires de proportions. Si on m’avait enlevé les mains, j’aurais pas pu jouer – je peux pas jouer une enfant sans mon corps. Donc c’était tout moi, et pas ma tête posée sur le corps d’un enfant, c’est ma tête de vieille et mon corps de vieille en train de jouer une enfant, et après on me réduit, on me grossit un peu la tête – parce que les enfants ont toujours une tête plus grosse que nous, enfin proportionnellement. Et puis on enlève un peu les marques du temps, et puis voilà, dans le mouvement, ça passe. J’espère !
Y a moins d’effets spéciaux qu’on aurait cru, finalement…
Y a des scènes, quand je suis à l’école, où y a aucun effet ! On a agrandi le bureau, la trousse, la feuille qu’on me donne avec ma mauvaise note, et puis voilà ! Mais c’est moi. L’instituteur est sur une caisse, c’est tout. Guy-Claude, je lui ai mis des santiags, je lui ai demandé de prendre 10 kilos, parce qu’il fallait que je sois une petite chose à côté de lui, ce qui n’est pas du tout mon cas… Donc c’est une question de proportions, au fond !
La question de prendre une actrice enfant ne s’est jamais posée, quoi.
Non, et je sais que les gens qui n’ont pas vu le film sont très frileux. Au Québec ils disaient « il faudra retourner toutes les scènes »… Mais ils n’avaient pas vu le film ! Maintenant ceux qu’on vu le film, ils disent plus ça ! J’avais même des amis qui me charriaient, n’y croyaient pas. Un jour repérages avec le chef op il m’a dit on va jamais y arriver… Je lui ai dit c’est bien toi qu’as fait ‘Didier’ : on croit bien qu’Alain Chabat est un chien ! Alors peut-être qu’on peut faire croire que j’ai 7 ans, pourquoi pas (rires) ?
Et après on dit que passé un certain âge les actrices n’ont plus de rôles (rires) !
De toutes façons moi à 23 ans je jouais des femmes de 70 donc… ! (NDLR : Référence à Milou en Mai de Louis Malle)
Vous avez d’autres projets pour la suite ?
Non, mon projet c’est d’apprendre l’Anglais, je voudrais bien le parler. Je voudrais trouver un prof que je voie tous les jours, j’ai envie de bien parler et je trouve ça important à mon âge (rires). Et peut-être passer le permis de conduire, aussi.
Comme Céline vous allez vous ouvrir à une carrière inter grâce à l’Anglais ?
Bah j’aimerais bien au moins pouvoir parler de ce film sans avoir besoin d’un interprète.
En attendant les prochains projets, le film sort en novembre (NDLR : 2021)…
Le 10.
Ca se mérite, ça vaut la peine de l’attendre…
Mais c’est quand même long (rires) ! (NDLR : l’interview a eu lieu en Janvier 2021)
Comment avez-vous passé le (NDLR : second) confinement ?
J’étais en Normandie avec ma sœur, ses enfants, c’était amusant. Ca m’a permis de les connaître bien, parce qu’en fait quand on voit les gens 2 fois par an, on ne peut pas vraiment. Et là, de partager la vie, le petit matin, les drames de la journée, voilà, c’était amusant. Par contre je n’ai pas réussi du tout à lire, voir des films… Pas du tout. Je me suis un peu… J’avais envie, en fait j’aime fabriquer. Alors je préfère faire de la couture… Maintenant là j’ai envie de voir des films. C »est surtout que Marcon a dit « vous avez qu’à lire des livres » et moi j’aime pas faire ce qu’on me demande. Donc j’ai pas lu. Après on m’a dit d’arrêter de lire, là j’avais envie de lire. Et j’ai envie de voir des films. Dimanche, j’ai eu la chance de voir ‘Drunk’, je vous le conseille si vous ne l’avez pas vu, c’est super, un merveilleux film.
Ouais ça donne bien envie de se bourrer la gueule après.
Je ne sais pas. Ou de ne plus jamais se bourrer la gueule (rires) !

ALINE – NOTRE AVIS
Tout est vrai, sauf le prénom! Valérie Lemercier se glisse dans la peau de Céline Dion dans ce vrai-faux biopic improbable et kitsch… mais plutôt réussi. L’idée n’est pas de se moquer, et si on rit beaucoup devant le film, entre expressions québécoises et comique de situation, c’est avec la chanteuse et pas d’elle. Derrière l’humour, le chant et le show (moins impressionnant que le vrai, on ne va pas se mentir), le film est aussi chargé en émotions, puisqu’un des fils rouges de l’histoire (de Céline) est son histoire d’amour avec René Angélil, son manager de mari, décédé en 2016. Les fans se délecteront à retrouver les costumes et chansons de leur star préférée, mais pas besoin de connaître Céline sur le bout des doigts pour apprécier ce divertissement pop décalé, porté avec malice et talent par Valérie Lemercier.
Biopic de Valérie Lemercier. Avec Valérie Lemercier, Sylvain Marcel, Danielle Fichaud, Roc LaFortune… Durée: 2 h 03.