Blanche Gardin et Laurent Lafitte : interview en duo pour ‘Tout le monde aime Jeanne’

version intégrale de l'interview parue dans : L'Avenir, 19.09.2022 

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Tout le monde aime Jeanne est un premier film. Qu’est-ce qui vous a donné envie de dire « oui » à Céline Devaux ?

Blanche Gardin : C’est comme les villas que j’achète : j’y suis allée au coup de cœur (rire). Non, en vrai, j’ai aimé la singularité du projet, l’animation… Et l’histoire de cette Jeanne, qui veut sauver la mer, et qui se retrouve en dépression et en faillite au Portugal à vider l’appartement de sa mère… C’est le retour du refoulé ! Il y avait des images qui me plaisaient, des histoires intéressantes. Et même si c’est une comédie, le personnage de Jeanne est plus grave et réservé que mon personnage de scène. 

Laurent Lafitte : Pour moi c’était plus facile, parce que Blanche était déjà engagée sur le film. Je me suis dit, ce personnage-là, interprété par Blanche, ça change tout. Peut-être que si ça avait été quelqu’un d’autre je n’y serais pas allé. 

Avez-vous le même humour ? Laurent, avez-vous vu le spectacle de Blanche, et Blanche, avez-vous vu L’Origine du monde réalisé par Laurent ? 

Laurent : Oui, elle l’a vu, elle m’a même primé ! Elle était présidente du jury au festival Groland

Blanche : …et je lui ai donné le premier prix, à son film. Mais surtout, on a le même agent, et un jour, celui-ci lui a dit à une attachée de presse : « Blanche, c’est le pendant de Laurent ». Donc oui, je pense qu’on a un peu exactement le même humour (ils rient)

« Il y a beaucoup plus de situations drôles à trouver autour d’un cancer de la gorge, que d’une angine »

Derrière la comédie, le film aborde des thèmes sombres, comme la dépression et le changement climatique…

Laurent : J’ai toujours eu l’impression que le rire ne peut pas se passer du drame. Il y a beaucoup plus de situations drôles à trouver autour d’un cancer de la gorge, que d’une angine. Ce qui a de génial avec la comédie, surtout quand on aborde des thèmes intimes, comme c’est le cas ici, c’est que l’humour permet d’éviter le misérabilisme, la sensiblerie.

Blanche : Et puis c’est aussi un drame auquel tout le monde s’identifie. Parce que bon, le monde part en couilles, on a des vraies raisons de s’inquiéter pour l’avenir… C’est quand même une époque craignos à vivre, et ça fait toujours du bien de rire de ce qui est très pénible. Le film exorcise quelque chose qui vraiment lourd pour tout le monde.

La scène la plus jubilatoire à tourner ensemble ?

Laurent : Moi j’ai beaucoup aimé, c’était vers la fin du tournage…bon, c’est pas pour ça que j’ai aimé (rire) mais la scène dans l’avion, c’était chouette à tourner.

Blanche : Dans l’avion c’était très bien, ouais. En fait ce qui est drôle, c’est que nos deux personnages sont très différents. Laurent est dans une espèce de légèreté, alors que moi je suis méga plombée. Mais en fait, ils sont assez immatures. C’est un peu des enfants, quoi. On sent qu’ils ont pas été très structurés… C’est ça qui est touchant, aussi. 

Blanche, la scène où votre personnage saute du bateau, vous l’avez tournée combien de fois ?

Blanche : Je vous le dis tout de suite, c’est pas moi qui ai sauté. J’ai la phobie de plonger quand j’ai pas pied, donc je ne pouvais pas le faire (rire).

Comment s’est passée la collaboration avec Céline Devaux; qui a écrit réalisé et… dessiné le film : c’était très écrit ou il y avait beaucoup de place pour l’impro ?

Laurent : C’était très écrit, mais on avait quand même la place, soit carrément de proposer des dialogues supplémentaires, ou de les modifier pour se les approprier et les rendre – pas forcément plus efficaces en soi, mais plus efficaces dans notre bouche à nous. Donc on avait quand même une latitude de travail à ce niveau-là…

Blanche : Mais c’était quand même un scénario très écrit, il y a très peu d’improvisation. De toute façon c’est rare que les dialogues ne soient pas remis en bouche par les acteurs et remâchés… On garde le sens, mais on le dit autrement. 

« T’as qu’à imiter Bill Murray »

Et sur le reste de la collaboration ?

Blanche : C’était compliqué, parce que moi c’était ma première expérience de premier rôle, elle c’était sa première expérience de long-métrage. Donc on était tous un peu à marcher sur des œufs – moi en tout cas, c’était le cas, c’était pas évident. Je ne savais pas du tout comment aborder le personnage, qui était assez intérieur, grave… Je savais que j’avais cette responsabilité de premier rôle pour la première fois, et j’étais un peu paniquée. A l’époque je travaillais sur une série avec un monteur, je lui parlais tous les soirs, et je lui ai dit que j’étais un peu paniquée à l’idée d’aborder ce rôle. C’est un grand cinéphile, donc il m’a dit « je vais t’aider, donne-moi le script, je vais le lire ». Donc je lui ai donné, il l’a lu, et il m’a dit : « Oui, je vois, c’est un esprit très Wes Anderson… t’as qu’à imiter Bill Murray ! » (rire). Donc à partir de ce moment-là, j’ai imité Bill Murray… et je me sentais très bien. 

Face au personnage de Blanche névrosée, celui de Jean parait irresponsable, mais en fait c’est lui la voix du thérapeute…

Laurent : Oui, au départ on le découvre un peu comme un personnage intrusif, le relou de service. On se dit « la pauvre, sa mère est morte, elle est en faillite, et en plus elle doit se taper un gros lourd pendant minimum 2h de vol ». Mais il se trouve que plus on le découvre, plus le personnage de Blanche va s’y attacher, et nous aussi. Parce qu’il a une petite longueur d’avance sur elle : lui, il n’a pas pu organiser de déni autour de ses névroses, parce qu’elles sont devenues… psychotiques. Donc il a été obligé de faire face à ses failles, et il est un peu à une étape supplémentaire par rapport au personnage de Blanche. Et il repère chez elle des fragilités que lui a connues, et qu’il a laissées germer. Il essaye de la prévenir, dire c’est ok d’être malheureux, faut juste accepter de l’être, aller au bout du truc. Pas faire semblant que tout va bien… et autant le perso de Blanche est dans un combat écologique, lui on sent qu’il est dans une espèce de philosophie économique, d’un monde idéal anticapitaliste… C’est aussi un point de connexion entre eux deux.

« Je lutte contre mon auto-sabordage »

Finalement, vous vous sentez en empathie avec Jeanne ?

Blanche : Oui, bien sûr. Je pense que c’est un personnage auquel on peut facilement s’identifier. Cette espèce d’obsession de la réussite, on l’a plus ou moins, mais avec le fond de ce que nous ont transmis les parents… tout ça, ça me touche. Et le fait d’être toujours en train de s’auto-flageller aussi, oui ça me touche (rire). 

Et vous Laurent, vous vous sentez proche de Jeanne ?

Laurent : Oui, la pensée négative… Je lutte contre mon auto-sabordage souvent. Mais comme beaucoup de gens, je pense. 

La voix dans votre tête, elle vous encourage ou elle vous enfonce ?

Laurent : Elle ne m’encourage pas beaucoup (rire). Je trouve qu’elle ne me soutient pas assez !

interview à Cannes, Semaine de la Critique, mai 2022

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